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contre la calomnie. La probité de Dupleix était tellement sans tache que, dans un moment où toutes les attaques étaient permises, pas une voix ne s’éleva pour la mettre en doute. Toutefois, si on ne pouvait le déshonorer, il était facile de le ruiner. Dupleix avait employé au service de son pays sa fortune, celle de sa famille, celle de ses amis, qui, pleins de confiance dans son étoile, l’avaient secondé de tous leurs moyens. D’une main généreuse, mais imprudente, il avait fondu au creuset de la guerre des richesses conquises par un labeur de trente années. Resté gouverneur, il ne se serait point hâté de rentrer dans ses avances pour le remboursement desquelles les soubadars Mursapha et Salabut avaient affecté les revenus du Karnatik. Un des premiers actes du commissaire Godeheu fut de mettre le sequestre sur ces revenus, d’emprisonner le banquier chargé de les recouvrer, et de refuser tout remboursement à Dupleix. On lui devait sept millions ; on ne lui paya rien.

Enfin, après avoir fait banqueroute tant à Dupleix qu’à ses nombreux créanciers, Godeheu, qui craignait quelque revirement d’opinion, se hâta de l’embarquer avec toute sa famille, après avoir fait de ses effets l’inventaire le plus malveillant et le plus ridicule, jusqu’à compter le nombre de perroquets, de singes, et les jupes galonnées d’or, singulière parure de la marquise indienne. Son mari emporta l’armure complète de Nazyr, et emmena un cheval persan pour l’offrir à Louis XV. Le commissaire avait recommandé ostensiblement de traiter l’ancien gouverneur avec les honneurs, la déférence dus aux fonctions qu’il avait remplies, mais, en même temps, il signifia au capitaine, sous peine de la vie, de s’opposer à toute relâche, à tout débarquement de caisses sur un point quelconque, et lui ordonna la surveillance la plus sévère. Bref, Dupleix était prisonnier ; c’est en prisonnier qu’il revoyait, après trente-quatre ans (1720 à 1754), cette France à laquelle il avait donné un monde. Au moment où Dupleix sacrifié, ruiné, humilié, allait rentrer dans sa patrie, La Bourdonnais rendait le dernier soupir, accablé d’infirmités précoces qu’il avait contractées dans sa prison.

Débarrassé de la présence de Dupleix, Godeheu ne songea plus qu’à conclure avec Saunders, le 11 octobre 1754, un traité par lequel il fut stipulé : 1° que les deux compagnies s’interdiraient à jamais d’intervenir dans la politique intérieure de l’Inde, que leurs agens renonceraient à toutes dignités, charges ou honneurs que voudraient leur conférer les gouvernemens du pays ; 2° que toutes les places et territoires occupés par elles seraient restitués au Grand-Mogol, à