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ou n’obtint qu’avec peine une modique pension. C’était sa seconde femme, une Française, une fille de qualité, Mlle de Chastenay-Lanty. La bonne Joanna Begum était morte depuis quelques années. A son arrivée de l’Inde, en entrant dans le port de Lorient, Mme Dupleix avait été surprise au dernier point de ne pas voir tout le peuple accourir à sa rencontre ; elle attendait cet empressement, cette joie publique et expansive qui l’accueillaient naguère à Chandernagor ou à Pondichéry. En passant devant une maison où on faisait de la musique, elle fut étonnée d’apprendre que ce n’était pas à son intention. Dans les rues de Paris, elle fut surprise de voir que personne ne se retournait pour dire : C’est elle ! c’est Joanna Begum ! A l’étonnement succéda la tristesse ; l’ennui s’en mêla, le climat fit le reste, et la pauvre fleur de l’Inde se flétrit, transportée sous notre ciel. Jeanne Dupleix ne devait pas être oubliée dans ce récit ; elle avait un grand courage, et son dévouement pour son mari était sans bornes ; elle lui fut constamment utile, peut-être indispensable ; elle partagea son malheur comme elle avait partagé sa prospérité.

Quoi de plus triste que l’histoire de l’Inde française après le rappel de Dupleix ! Ici son nom disparaît pour faire place à un nom plus célèbre que le sien, quoique assurément moins illustre, mais devenu respectable par un malheur immérité à force d’être extrême. Ce nom est consacré dans ma pensée par des souvenirs domestiques[1]. Aussi est-ce avec regret que j’approche de ce funeste épisode ; je voudrais ne pas y toucher, mais, en l’évitant, je ne tirerais pas de ce récit un enseignement complet. Il faut donc parler de Lally, il faut parler de sa vie amplement rachetée par sa mort : je le ferai en peu de mots.


IV

Le traité de Godeheu avait livré l’Inde à l’Angleterre ; la clause principale, celle de la renonciation à toute conquête ultérieure, était déjà violée par les Anglais avant le retour du commissaire français. Pour punir le soubadar du Bengale, qui, après s’être emparé de Calcutta, avait jeté cent cinquante Anglais dans un cachot souterrain, nommé le Trou-Noir, Clive partit, à la tête d’un millier d’Européens, secondé par cette même escadre que le ministère britannique avait envoyée au moment de la négociation de Godeheu. Non-seulement il

  1. Voir les lettres de Voltaire à M. de Lally-Tollendal.