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mauvais temps n’altérât ni la gaieté, ni l’ardeur, les seuls qu’il ne fallût ni ménager, ni surveiller, ni exciter sans cesse, c’étaient ces matelots de naissance élevés à la mer, habitués dès l’enfance à en défier toutes les chances et toutes les intempéries, et que le commandement de l’officier trouvait toujours alègres et dispos. Après quelques mois d’une pareille épreuve, il n’y avait pas un capitaine qui ne comprît mieux encore la nécessité d’assurer avant tout la navigation du navire par un fonds d’équipage que l’inscription maritime pouvait seule fournir, et qui n’appréhendât davantage les suites du fâcheux penchant qu’on laissait entrevoir à abuser d’une ressource qui ne pouvait être que secondaire.

Ce n’est pas qu’employés dans une juste proportion, les hommes du recrutement, hommes d’élite pour la plupart, de grande taille et plus forts en général que nos véritables matelots, ne pussent être admis avec avantage à bord de nos navires. Il est certain qu’il y avait tout profit à recevoir à la place de novices encore trop faibles pour figurer dans l’armement d’une pièce de gros calibre ces vigoureux enfans de nos campagnes, dont on pouvait tirer un excellent parti partout ailleurs que sur une vergue ; mais leur nombre devait être rigoureusement limité, et si l’on voulait avoir quelque souci de l’honneur et de la sûreté de nos vaisseaux, il fallait bien se garder, même au milieu de la paix la plus profonde, d’excéder jamais ces limites, portées, déjà bien loin. L’avenir de notre marine dépendait donc encore, quoiqu’on en eût pu dire, du développement de notre inscription maritime.

M. l’amiral de Rigny, qui comprenait en homme supérieur tous les inconvéniens inhérens à cette organisation de nos équipages, avait, dès l’année 1831, établi le principe de l’armement permanent d’un certain nombre de vaisseaux. Jusqu’à lui, on avait trouvé tout naturel de n’armer ces grandes machines de guerre qu’au moment du besoin, et on eût volontiers fait comme les Turcs, qui congédient leurs équipages pendant l’hiver pour les rassembler de nouveau au printemps. M. l’amiral de Rigny, qui avait étudié de près la marine anglaise et les élémens d’une supériorité qu’il ne suffit pas de méconnaître pour l’effacer, pensa au contraire que le désarmement de la flotte était la dernière des économies à réaliser, et que, si nous n’entretenions constamment armée une forte division de vaisseaux, nous nous trouverions hors d’état, en présence de quelques éventualités pressantes, d’improviser avec nos ressources factices des armemens que le personnel exubérant dont disposait l’Angleterre, ses institutions vivaces et ses traditions d’escadres lui permettaient de différer impunément