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heureux, eût encombré les quais de Chatham et de Portsmouth. Une telle situation faisait comprendre cependant les inconvéniens de la liberté illimitée que, durant la paix, l’Angleterre accordait à ses marins. Cette liberté avait un instant restreint le développement de ses forces. Nos embarras à nous étaient malheureusement d’une nature plus grave. Bien que l’armement de notre flotte n’exigent en 1841 que 40,171 hommes (ce que l’amirauté anglaise vient de demander pour ses armemens de 1845), et que le recrutement eût fourni environ le tiers des équipages, notre inscription maritime se trouvait tellement épuisée déjà, que la levée permanente établie dans tous les quartiers du littoral ne fournissait point de remplaçans pour les hommes qui comptaient plus de trois années d’embarquement. Au mépris des usages établis, il fallait maintenir ces derniers au service et les dédommager par des avancemens qui peuplaient nos vaisseaux d’officiers-mariniers souvent impropres à ces fonctions.

On aurait peine à comprendre cette pénurie, si on s’arrêtait aux chiffres officiels. Le chiffre du personnel total de notre inscription maritime, tel qu’il ressort du relevé des matricules, s’élève en effet à 122,000 hommes ; mais combien sur ce nombre pourraient réellement concourir à la formation de nos équipages ? Il en faut déduire d’abord 11,000 capitaines au long cours, qui ne peuvent être employés que comme officiers ; 20,000 novices, encore trop faibles pour n’être pas avantageusement remplacés par des hommes du recrutement ; 15,000 mousses, qui sont, ainsi que nos novices, l’espoir de notre inscription, mais ne peuvent être comptés que dans les ressources de l’avenir ; enfin 10,000 ouvriers et 2,000 apprentis-ouvriers, qu’on enlèverait difficilement à nos arsenaux, et dont la présence y serait du reste indispensable en temps de guerre. Nous arrivons ainsi au chiffre réel, au chiffre utile de 57,518 matelots et 5,293 officiers-mariniers ayant atteint l’âge de vingt ans et n’ayant pas dépassé celui de cinquante. Sur cet effectif, M. le rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet de budget pour 1845 proposait déjà de retrancher comme non-valeurs tous les hommes âgés de plus de quarante-cinq ans, qu’il jugeait incapables d’entrer dans la composition des équipages de la flotte ; mais cette limite d’âge, il faut le dire, est rarement dépassée dans la pratique, et à moins de vouloir, pendant la guerre, armer nos navires avec des hommes moins agiles, moins valides que ceux que nous employons pendant la paix, à moins de vouloir affaiblir, au moment le moins opportun, la composition de nos équipages, nous pouvons considérer, non-seulement les hommes de quarante-cinq ans,