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je ne suis point de ceux qui ont pensé alors qu’une pareille révélation pût donner à l’Angleterre la mesure de nos forces ; il me sembla que son gouvernement avait trop d’intérêt à être bien informé à cet égard pour qu’on pût espérer qu’il ignorât le secret de nos arsenaux, lui à qui le développement mystérieux de la marine russe au fond de la Baltique et de la mer Noire n’avait pu réussir à échapper. Ce ne fut point à l’Angleterre que cette Note ouvrit les yeux : ce fut à la France. Le système de guerre dont elle recommandait l’adoption fut approuvé par le plus grand nombre, combattu par plusieurs : le service qu’elle rendit au pays fut indépendant de tout système ; il consista à proclamer, sur la mauvaise direction de nos efforts, sur l’insuffisance de notre matériel et de notre personnel, de courageuses vérités qui avaient besoin de trouver l’autorité d’un pareil organe. C’est aussi à cette œuvre patriotique que le brave amiral Lalande dévouait ses dernières pensées, le dernier souffle de sa vie : c’est là le but que doit se proposer tout esprit droit et sincère. En finir avec des illusions qui ne peuvent être que dangereuses et funestes, c’est déjà faire un premier pas vers des efforts sérieux et réparateurs.

D’ailleurs, il faut le reconnaître, le moment était bien choisi pour signaler le danger que nous courions à rester plus long-temps sous l’empire de la routine. Les immenses perfectionnemens qu’avaient déjà reçus les navires à vapeur semblaient devoir favoriser singulièrement la réalisation de la pensée qui avait présidé à la réorganisation de notre puissance navale, et c’était précisément cette partie de notre matériel que nous traitions avec le plus de négligence ! La vapeur menaçait l’Angleterre de mettre la marine à la portée de tout grand peuple qui aurait des soldats et des finances prospères, et nous laissions nos rivaux prendre une telle avance dans cette voie nouvelle, que nous nous exposions à ne pouvoir les y suivre. Il importait assurément de nous arracher à cette léthargie, et de fixer par une discussion publique et solennelle les conditions dans lesquelles devait se développer à l’avenir notre matériel naval, et les tendances auxquelles nous devions obéir. Jouets de courans contraires, au moment même où des complications pressantes nous commandaient impérieusement de nous hâter, nous nous trouvions, par une fatalité singulière, condamnés en quelque sorte à l’immobilité. Il fallait indispensablement prendre un parti mais lequel ? Rarement une question plus grave s’était posée devant le pays.

Aux époques de transition, les partis absolus offrent mille inconvéniens. Il n’est point douteux que la vapeur ne soit destinée à opérer