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cause à laquelle les Américains durent leurs succès. Leurs navires possédaient une marche supérieure ; leurs équipages, composés d’hommes de choix, manœuvraient avec ensemble et précision ; leurs capitaines avaient ces connaissances pratiques qui ne s’acquièrent que par une longue expérience de la mer, et il ne faut point s’étonner si, chassée pendant trois jours par une escadre de quatre frégates anglaises, la Constitution a pu leur échapper en les primant de manœuvre et en mettant en usage tout ce que la science maritime peut suggérer d’ingénieuses ressources et d’habiles expédiens.

Cette guerre doit être méditée sans cesse ; l’amour-propre de deux peuples auxquels les choses de la marine sont si généralement familières en a éclairé tous les détails, mis à nu tous les épisodes, et à travers toutes les jactances et toutes les injures qui ont souillé ces pages vraiment glorieuses de l’histoire des États-Unis, on voit à chaque pas ressortir plus éclatante cette grande vérité, qu’il n’y a de succès que pour ceux qui savent les préparer. Le seul triomphe remarquable qui honora les armes anglaises dans cette guerre, loin d’infirmer ce principe, ne peut que lui donner plus de force encore. La frégate américaine la Chesapeake, commandée par le capitaine Lawrence, déjà connu par la prise du brick le Peacock, qu’il captura avec la corvette le Hornet, fut enlevée en quinze minutes par un bâtiment d’égale force, la frégate anglaise le Shannon. Sans rien ravir de sa gloire à ce magnifique engagement, qui présenta tous les caractères d’un combat singulier, d’un duel chevaleresque, on ne peut s’empêcher de retrouver dans la capture de la Chesapeake une nouvelle preuve de la toute-puissance d’une bonne organisation, quand elle a reçu la consécration de quelques années de campagne et de mer.

En cette occasion, en effet, deux capitaines également renommés, l’honneur des deux marines, se trouvèrent en présence, sur deux navires du même tonnage, du même nombre de canons. Jamais les chances n’avaient paru mieux balancées ; mais sir Philipp Broke commandait le Shannon depuis près de sept ans : le capitaine Lawrence n’avait pris le commandement de la Chesapeake que depuis quelques jours. La première de ces frégates croisait depuis dix-huit mois sur les côtes d’Amérique ; la seconde sortait du port. L’une avait un équipage rompu depuis long-temps aux habitudes de l’obéissance passive ; l’autre était montée par des hommes qui venaient de se mutiner. Les Américains eurent tort d’accuser la fortune en cette circonstance. La fortune ne leur fut point infidèle, elle ne fut que conséquente. Le Shannon captura la Chesapeake le 1er juin 1813, mais le 14 septembre