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chambre des communes que vont finalement aboutir les résultats de ces épreuves. C’est qu’en Angleterre chacun, pour ainsi dire, a le sens maritime, chacun aime la marine et la comprend. En France, nous commençons à l’aimer, mais nous ne la comprenons pas encore. Il y a plus, parmi ceux d’entre nous qui s’adonnent à cette rude profession, qui y consacrent leur vie, il en est peu qui n’aient sur les officiers anglais l’avantage d’une instruction plus étendue, de plus fortes études ; mais, en général (qu’on me pardonne cet aveu), l’instinct et l’amour du métier sont moins développés de ce côté de la Manche que sur la rive opposée.

Il est vrai qu’il existe une notable différence entre les services que le gouvernement anglais exige de ses officiers et ceux qui sont imposés aux nôtres. L’officier anglais, soumis à une discipline inflexible tant qu’il est embarqué, reprend toute sa liberté dés que son navire est désarmé. Pourvu que chaque année il fasse connaître sa demeure au secrétaire de l’amirauté, il peut vaquer à ses affaires et jouir de sa demi-solde aussi long-temps qu’il lui convient. Avec cette simple formalité, remplie une fois l’an, I live at such a place, il est aussi maître de ses mouvemens que le plus indépendant des cockneys de Londres ou des country-gentlemen du Yorkshire. Chez nous, au contraire, où les cadres ont été strictement calculés sur les besoins du service, l’exploitation de l’officier est plus âpre, et il ne s’appartient jamais pendant plus de six mois. Des chances heureuses, une ambition confiante, le soutiennent pendant les premières années ; mais, quand arrivent les dégoûts inévitables, les désappointemens imprévus, ce service incessant épuise et lasse un dévouement déjà ébranlé, et le sentiment du devoir doit suppléer, à lui seul, à tout ce qui a été perdu d’ardeur et de jeunesse.

Si l’on veut donc admettre que le goût de la marine, l’amour de la profession, sont plus rares parmi nous que chez nos voisins, on comprendra facilement combien, dans l’état présent des choses, il serait nécessaire de substituer quelque stimulant à l’ardeur naturelle qui nous manque. Suivant nous, rien ne saurait mieux atteindre ce but que la formation périodique d’escadres d’évolution. L’heureuse émulation qui anime les navires ainsi rassemblés n’a jamais manqué de porter ses fruits, et depuis 1815 la marine française n’a réalisé de grands progrès que par de pareilles réunions de bâtimens. Ce n’est que dans ces escadres que les officiers apprennent à se connaître et à s’apprécier ; ce n’est que là que la discipline se retrempe et que les bonnes doctrines se raffermissent. Aussi, quand bien même il serait