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lui-même la société révolutionnaire, ils y votèrent, sous la présidence de lord Stanhope, des félicitations à l’assemblée nationale, qui, soit par une ignorance réelle de la valeur de cette manifestation, soit qu’il lui convînt de paraître s’y méprendre, la reçut comme l’expression non contestable des sentimens de la nation anglaise. Le cabinet pourtant évitait avec soin tout ce qui eût pu, soit l’associer à de telles démonstrations, soit lui faire attribuer des sentimens malveillans pour le grand changement qui s’opérait en France. Une réserve extrême caractérisait alors à cet égard et ne cessa, pendant trois années, de caractériser la politique de Pitt. Les partis ont prétendu que cette réserve cachait des machinations perfides par lesquelles le gouvernement anglais, pour se venger du mal que la France lui avait fait dans la guerre d’Amérique, excitait et soudoyait à Paris les mouvemens anarchiques ; mais cette accusation, tant répétée par les fanatiques de l’émigration et par ceux de la terreur et de l’empire, est depuis long-temps tombée dans le juste mépris où disparaissent tôt ou tard les calomnies des passions contemporaines.

Cependant, à Londres comme dans l’Europe entière, toutes les autres questions s’effaçaient devant le nouvel ordre de faits et d’intérêts qu’avait ouvert la révolution française. On put s’en apercevoir à la direction que prirent les débats du parlement lorsque les chambres, qui s’étaient séparées un peu avant la prise de la Bastille, se rassemblèrent pour la session suivante, le 21 janvier 1790. La discussion s’étant engagée sur le budget de l’armée, Fox vanta la conduite que les soldats français avaient tenue, le 1er juillet, en refusant d’obéir aux ordres de la cour et en se rangeant sous le drapeau de la liberté ; il dit qu’ils avaient donné un glorieux exemple à tous les soldats de l’Europe, qu’ils avaient prouvé qu’un homme, en embrassant la carrière des armes, peut ne pas cesser d’être citoyen, et que cet exemple avait singulièrement affaibli ses vieilles préventions contre l’existence des armées permanentes. Dans une autre circonstance, il compara la révolution française à celle qui, en 1688, avait établi et garanti les libertés de l’Angleterre. Ces élans d’un enthousiasme peu réfléchi trouvèrent des contradicteurs. Burke surtout, après avoir exprimé avec effusion l’admiration profonde, la tendre amitié qui l’unissaient à Fox et le chagrin qu’il éprouvait de se trouver pour la première fois d’une autre opinion, peignit avec les plus sombres couleurs l’esprit d’anarchie, d’immoralité et d’impiété, qui menaçait l’avenir de la France, adjura l’Angleterre de s’en préserver, et déclara solennellement que si, par malheur, quelqu’un de ses amis en