Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’adresse qu’il avait proposée fut votée, mais à la majorité de 93 voix seulement. C’était peu dans une pareille matière. Ce qui augmentait d’ailleurs singulièrement la puissance morale de la forte minorité obtenue par l’opposition, c’est que cette fois elle représentait réellement l’opinion publique. Cette opinion, encore dominée par les anciennes idées qui avaient si long-temps fait considérer la présence des musulmans en Europe comme un péril pour la chrétienté, voyait avec une certaine complaisance tout ce qui tendait à les en expulser, et la prévoyance d’un petit nombre d’hommes d’état n’avait pu faire pénétrer encore dans la masse de la population la préoccupation des dangers plus réels qu’entraînait pour l’Angleterre l’extension de la domination russe dans l’Orient. Le commerce, d’ailleurs, d’autant plus influent que huit années de paix l’avaient porté à un degré de prospérité jusqu’alors inoui, s’effrayait des chances d’une nouvelle guerre, quel qu’en put être le motif, et ce même esprit un peu aveugle de conservation qui, pour l’ordinaire, garantissait son appui au gouvernement, le jetait en cette circonstance dans les rangs des adversaires du pouvoir. Encouragé par cet ensemble de conjonctures, Grey présenta à la chambre des communes une suite de résolutions qui frappaient d’une désapprobation presque formelle les mesures même auxquelles la chambre s’était associée par l’adresse. Quelque inconséquente que fût une telle proposition, la majorité qui la repoussa ne dépassa pas 80 voix. Deux propositions analogues au fond, bien que différentes dans la forme, furent ensuite rejetées par un nombre de suffrages à peine un peu plus considérable. Dans les discussions qu’elles amenèrent, Pitt, malgré des provocations très vives, refusa avec une grande fermeté de rien ajouter aux explications qu’il avait déjà données. Il pensait que l’avantage de produire quelques raisonnemens, quelques faits nouveaux, ne pouvait entrer en balance avec le danger d’aggraver, par des révélations intempestives ou par un entraînement de paroles presque inévitable, une situation si délicate.

Bien que la chambre des lords, où des attaques semblables avaient été dirigées contre le gouvernement, les eût plus nettement désapprouvées, l’attitude presque incertaine de la chambre des communes et les dispositions non équivoques de l’opinion suffirent pour faire échouer les projets du cabinet. Il dut renoncer à une entreprise difficile, dans laquelle l’appui énergique du sentiment public était indispensable au succès. Le duc de Leeds, secrétaire d’état des affaires étrangères, donna sa démission, et eut pour successeur celui des membres du cabinet dont les conseils avaient le plus contribué à ce revirement, lord