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pays, l’esprit public tendait visiblement à la guerre. Tandis qu’en France la convention et les sociétés populaires retentissaient de provocations contre tous les trônes, l’Angleterre voyait s’opérer dans son sein une puissante réaction monarchique. Une minorité audacieuse continuait bien à s’y agiter, dans les clubs, en faveur des révolutionnaires français ; elle félicitait la convention, par de pompeuses adresses, d’avoir détruit le despotisme, d’avoir repoussé l’étranger, et elle lui exprimait l’espoir de voir la Grande-Bretagne suivre bientôt ses glorieux exemples ; mais ces démonstrations insensées, qui trompaient la France sur les véritables dispositions du peuple anglais, avaient pour unique effet, en Angleterre, de resserrer les rangs de la majorité dévouée à l’ordre monarchique, et, en exagérant à ses yeux les dangers dont les démagogues menaçaient la société, de transformer en une sorte de fanatisme l’aversion qu’elle leur portait.

L’arrivée de nombreux émigrés français, de prêtres surtout, qui, échappés aux massacres du 10 août et du 2 septembre, étaient venus chercher un asile sur le sol britannique où l’hospitalité publique et privée se déploya envers eux avec une rare générosité, ne contribua pas peu à fortifier ces dispositions. A l’aspect de la détresse de ces hommes naguère riches et puissans, au récit de tant d’assassinats, de tant d’outrages prodigués à la religion, aux classes élevées, au roi lui-même et à sa famille, maintenant prisonniers et menacés jusque dans leur existence, tous les Anglais sincèrement attachés aux institutions de leur pays, tous ceux qui avaient quelque chose à perdre dans un bouleversement politique, ceux en qui l’esprit de parti n’avait pas étouffé tout sentiment de générosité et de pitié, furent émus d’indignation, de douleur et d’effroi. L’opposition constitutionnelle vit ses rangs s’éclaircir, et ce qui en restait se sentit singulièrement embarrassé dans son attitude et dans son langage, ne voulant pas abandonner ses convictions intimes, mais craignant de paraître, en les soutenant, défendre la cause du crime et s’allier aux anarchistes.

On vit alors se former, par les efforts d’un simple particulier appelé John Reeves, connu pour l’ardeur de ses opinions asti-révolutionnaires, des associations qui prirent le nom de loyalistes, et dont le but avoué était de combattre, sous la direction de l’autorité publique, l’influence des sociétés républicaines. Pitt hésita à accepter leur concours ; il était trop éclairé pour ne pas comprendre ce qu’un gouvernement perd de sa force morale et de sa dignité lorsqu’il descend de sa haute position pour se déclarer le chef d’un parti, et il eût préféré demander au parlement la suppression de toute société politique. Il crut pourtant devoir