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Dans la Cité, vers la pointe occidentale de l’île, s’élevait le palais souvent habité par nos rois, théâtre de leur puissance et surtout de ce pouvoir judiciaire qui y règne encore en leur nom, et qui alors même, exercé par leurs délégués, paraissait la plus populaire de leurs prérogatives et le signe reconnaissable de leur souveraineté. Un jardin royal, comme on pouvait l’avoir en ce siècle, un lieu planté d’arbres entre le palais et le terre-plein où Henri IV a sa statue, s’ouvrait en certains jours comme promenade publique au peuple, à l’école, au clergé, et à ce peu de nobles hommes qui se trouvaient à Paris. En face du palais, l’église de Notre-Dame, monument assez imposant, quoique bien inférieur à la basilique immense qui lui a succédé, rappelait à tous, dans sa beauté massive, la puissance de la religion qui l’avait élevée, et qui de là protégeait en les gouvernant les quinze églises dont on ne voit plus les vestiges, environnant la métropole comme des gardes rangés autour de leur reine. Là, à l’ombre de ces églises et de la cathédrale, dans de sombres cloîtres, en de vastes salles, sur le gazon des préaux, circulait cette tribu consacrée, qui semblait vivre pour la foi et la science, et qui souvent ne s’animait que de la double passion du pouvoir ou de la dispute. A côté des prêtres, et sous leur surveillance, parfois inquiète, souvent impuissante, s’agitait, dans le monde des études sacrées et profanes, cette population de clercs à tous les degrés, de toutes les vocations, de toutes les origines, de toutes les contrées, qu’attirait la célébrité européenne de l’école de Paris ; et dans cette école, au milieu de cette nation attentive et obéissante, on voyait souvent passer un homme au front large, au regard vif et fier, à la démarche noble, dont la beauté conservait encore l’éclat de la jeunesse, en prenant les traits plus marqués et les couleurs plus brunes de la pleine virilité. Son costume grave et pourtant soigné, le luxe sévère de sa personne, l’élégance simple de ses manières, tour à tour affables et hautaines, une attitude imposante, gracieuse, et qui n’était pas sans cette négligence indolente qui suit la confiance dans le succès et l’habitude de la puissance, les respects de ceux qui lui servaient de cortége, orgueilleux pour tous, excepté devant lui, l’empressement curieux de la multitude qui se rangeait pour lui faire place, tout, quand il se rendait à ses leçons ou revenait à sa demeure, suivi de ses disciples encore émus de sa parole, tout annonçait un maître, le plus puissant dans l’école, le plus illustre dans le monde, le plus aimé dans la Cité. Partout on parlait de lui ; des lieux les plus éloignés, de la Bretagne, de l’Angleterre, du pays des Suèves et des Teutons, on accourait pour l’entendre ;