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qui a déserté cent fois la cause du pouvoir, qui, pour éviter la lutte, a reculé partout, et, pour ne pas tomber, a fini par se rendre immobile, un tel ministère ne petit plus faire illusion à personne. Il a beau prétendre qu’il est libre, tout le monde sent qu’il est vaincu.

Dans les circonstances présentes, le parti conservateur a de graves devoirs à remplir. Il voit les fautes qu’il a commises ; il doit s’attacher à ne plus en commettre de nouvelles. On ne sort pas impunément des voies régulières et normales du gouvernement où l’on vit. C’est une grande erreur de s’imaginer qu’au moyen de certaines démonstrations d’un enthousiasme factice, on peut rendre la vie à ce qui n’est plus, et continuer sans périls une situation mensongère. Les honorables membres de la réunion Lemardelay ont cru que leur phalange, serrée autour du cabinet dans un moment de détresse, lui donnerait la force, la volonté, le courage, toutes les qualités enfin qui lui manquent ; ils ont cru qu’ils allaient relever le pouvoir : ils n’ont fait que l’abaisser davantage. Entraînés par une confiance irréfléchie, ils n’ont pas viuqu’ils demandaient au cabinet l’impossible. Du reste, le ministère les a trompés en exagérant ses ressources, et de leur côté ils ont trompé le ministère en lui promettant un appui qu’ils n’étaient pas capables de donner. C’est, en effet, un des malheurs de la situation actuelle qu’il n’y ait de force réelle et de volonté nulle part, ni dans le gouvernement, ni dans la chambre. Le parti conservateur a des élans qui ne durent pas. Il se rassemble un jour en faisceau ; le lendemain il se disperse au gré des caprices individuels. Il est résolu aujourd’hui ; demain, il sera flottant et indécis. Il prend le pouvoir de temps en temps, mais par nécessité plutôt que par goût. Au fond, malgré certaines exigences, malgré les tracasseries ou les licences de l’initiative parlementaire, ce qui prévaut dans la chambre comme dans le pays, c’est le besoin d’une autorité forte, qui dirige et qui domine. L’anarchie ne plaît long-temps à personne. La chambre, abandonnée à elle-même, est la première à déplorer dans le gouvernement une faiblesse qui paralyse tout, et qu’elle ne veut pas exploiter. Puisqu’elle veut un ministère sérieux, qu’elle le dise donc une fois pour toutes.

Que deviennent les projets de dissolution ? Les élections auront-elles lieu cette armée ? Bien habile serait celui qui pourrait le dire. M. Duchâtel ne le sait pas lui-même. Le hasard, plus que la volonté de nos ministres, en décidera. Le hasard a déjà fait tant de choses sous le ministère actuel, et même sous ceux qui l’ont précédé ! En attendant, un propos circule dans le part ministériel au sujet des élections. « Elles seraient plus faciles, dit-on, si M. Guizot n’était plus ministre. » Le mot est dur dans les circonstances présentes. On dit encore que la retraite de M. Guizot amortira les passions dans la chambre, et rendra les luttes politiques moins fréquentes. Oui, si le système de M. Guizot fait place à une politique conciliante et ferme, capable de rapprocher et de contenir les partis ; mais si la politique de M. Guizot est continuée sous un autre nom, pourquoi cesserait-elle d’être irritante ? Nous savons que le langage de M. Duchâtel est habile. Sans le ranger parmi les