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influens d’alors. Français (de Nantes), qui était natif du Dauphiné, cet homme excellent dont on retrouve la trace bienfaisante à l’origine de tant de carrières littéraires, protégeait beaucoup le jeune Fauriel, et celui-ci lui dut peut-être de connaître Fouché, auprès duquel il avait d’ailleurs à présenter comme titre direct les souvenirs de son éducation oratorienne. Bref, après le 18 brumaire, Fauriel fut employé sous Fouché, alors ministre de la police, et il devint moine son secrétaire particulier ; en cette qualité, il logeait avec son patron à l’hôtel du ministère. Nous pourrions suivre son passage à la police durant ces deux années (depuis la fin de 1799 jusqu’au Printemps de 1802) par une longue suite de bons offices rendus et de bienfaits. Une lettre touchante que nous trouvons à lui adressée et datée du 17 frimaire an VIII, c’est-à-dire des premiers temps de son entrée dans les bureaux, traduit mieux que nous ne saurions faire l’effusion de cœur d’un vieillard étonné et reconnaissant qui, sous le coup d’un bienfait reçu, s’en va presque admirer Fouché et appelle la police la boite de Pandore. En lisant cette lettre émue et naïve, une larme d’attendrissement se mêle au sourire involontaire :


« Quel homme êtes-vous donc, citoyen ? Quoi ! vous faites pour la seule justice, pour l’humanité seule, ce qu’à peine on aurait attendu de la plus ardente amitié ! Je vous suis étranger, à peu près inconnu, et vous embrassez mon affaire avec l’activité de l’intérêt propre ; vous l’étudiez, vous avez la patience de dévorer les plus insipides papiers ; vous la possédez mieux que moi-même ; en un mot, vous êtes le seul, mais exactement le seul homme, qui ayez voulu m’entendre pour savoir au juste qui j’étais !

« Depuis trois mois je trouvais dans les bureaux de la police vingt personnes peut-être prêtes à écrire pour m’accuser, et depuis trois mois je n’en ai pas trouvé une seule capable de lire une page, une ligne pour ma justification. Sans vous, bon citoyen, condamné ou absous, je l’aurais été sans examen. Ah ! quelle opinion vous me donnez du ministre qui sait choisir, employer et écouter un homme tel que vous ! Il sera donc vrai que ces bureaux de la police ont été pour nous la boîte à Pandore ; tous les maux en sont sortis enfouie jusqu’aujourd’hui ; et maintenant l’espérance cachée au fond de la boîte paraît enfin, et c’est vous qui l’accompagnez.

« Je vous le dis encore : quel homme êtes-vous donc ? Je relis vos deux lettres, elles font honneur à votre esprit ; je pense à vos procédés, ils prouvent l’ame la plus belle. Si j’étais plus jeune, si la Providence m’avait placé près de vous, je n’oublierais rien pour obtenir, pour cultiver votre amitié. Je vous dirai bien que ma reconnaissance pour un trait si rare durera autant que ma vie ; mais, hélas ! c’est vous dire qu’elle finira dans quatre jours, et je mourrai, bon et généreux citoyen, avec le regret de n’avoir point vu, de