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m’offrez un point de vue consolant et doux. Oh ! soignez bien cette plante rare qu’on nomme le bonheur ! c’est si difficile à acquérir, et c’est peut-être impossible à retrouver ! » - -


Voilà de ces accens comme on les aime, et qui rachètent bien des aridités. Un autre passage vient tout-à-fait comme preuve nouvelle à l’appui de la haute et sérieuse estime, de l’affection, que Mme de Staël portait à Fauriel, et elle nous montre aussi Constant dans l’un de ses meilleurs jours :


« J’ai annoncé votre lettre à une dame que je vois souvent. Elle n’avait point attribué votre silence à des motifs défavorables pour vous, comme vous le dites, mais tristes pour elle. C’est une des personnes qui vous aiment et vous apprécient le mieux, et que je voudrais le plus voir heureuse ; et je sais combien des preuves, de votre amitié y contribueraient. Il y a dans mon cœur trop de découragement, dans mon ame trop de sentimens divers, mon imagination est trop décolorée pour que je puisse, moi, faire le bonheur de personne, et je rassemble avec inquiétude, pour les objets de mon amitié, tous les moyens de bonheur que je découvre ou que j’imagine. »


Constant ne pouvait manquer d’entretenir Fauriel de cet ouvrage sur les Religions qui subissait en ce moment une métamorphose essentielle, et dans lequel l’auteur introduisait enfin le sentiment, le souffle religieux :


« Pour la quatrième fois, lui écrivait-il (26 messidor an X), j’ai recommencé mon ouvrage : Je crois qu’il gagnera à la refonte à laquelle je me suis déterminé. Je désire le rendre le moins imparfait possible ; il faut qu’il ait assez de mérite pour se soutenir durant cette époque de dégoût pour les sujets dont je traite, de manière à se retrouver lorsque ce dégoût sera passé. »


Ce dégoût du public pour les sujets religieux n’était pas si absolu que Constant le supposait, et le succès du Génie du Christianisme lui aurait pu fournir une mesure meilleure de l’état vrai des esprits. Il est vrai qu’à son point de vue philosophique il considérait ce succès plutôt en adversaire, et qu’il en passait volontiers à cet égard par les jugemens amers que portait Ginguené dans la Décade. Constant accueillait plus indulgemment le livre de Cabanis (Traité du Physique et du Moral), qui paraissait à cette fin de 1802, et qu’il recevait de Paris en même temps que Fauriel recevait Delphine. Ce jugement sur Cabanis confine de trop près aux et aux affections de Fauriel à cette époque, et il exprime trop bien aussi le fond des pensées de Constant sur ces sujets délicats pour être dérobé au lecteur :


« (Genève, ce frimaire an XI). Je lis, autant que mon impuissance de