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ne sais qui l’a remarqué spirituellement, il faut que l’auteur ait quelquefois de l’impatience pour que le lecteur n’en ait pas. Cela est vrai, surtout du lecteur français, le plus impatient de tous. Ce qui a toujours manqué à Fauriel, comme écrivain, même dans sa jeunesse, ç’a été le quart d’heure final d’empressement et de verve, le fervet opus, un certain feu d’exécution, et, comme on dit vulgairement, battre le fer quand il est chaud. Ajoutez ceci encore : chaque écrivain, en avançant, encourt plus ou moins les inconvéniens de sa manière ; celui qui visait tout d’abord au trait, tend à s’aiguiser de plus en plus ; celui qui n’y visait pas du tout, est sujet dans la forme à l’abandon En faisant pressentir quelque chose de ce défaut chez l’auteur distingué que nous étudions, nous sommes très loin, au reste, de penser que Fauriel, à l’exemple de tant d’érudits, fût indifférent au style, à l’expression ; une telle lacune serait trop inexplicable chez un homme d’une sensibilité littéraire si vive et si exquise, d’un goût si fin et, pour tout dire, si toscan. Nous aurons occasion surtout de le remarquer lorsqu’il abordera l’histoire, il eut son procédé à lui et sa manière Il ne vise pas à l’effet, mais il l’atteint, si l’on consent à le suivre. Il aspire à faire passer son lecteur par les mêmes préparations que lui et à ne rien lui en épargner. Il n’a pas ce coup d’état du talent qui dispose d’autorité les choses pour le lecteur et les impose à quelque degré, ou qui du moins les ordonne et les ménage dans un jour approprié à la scène. Il compte davantage sur l’esprit des autres et aime à les supposer de la même famille que lui.

Etranger aux couleurs et à leur emploi, Fauriel ne l’était pas à un certain dessin correct, délicat et patient. J’ai entendu comparer quelques-uns des morceaux qu’il a soignés à des esquisses très bien faites, tracées avec le crayon de mine ; et quand il avait fini et qu’il revoyait l’ensemble, il craignait tant le prestige, qu’il était tenté encore de passer la main dessus pour effacer et pour éteindre. S’il y avait de l’excès dans ce scrupule, l y avait au moins du scrupule, c’est-à-dire le contraire de l’indifférence, ce que je tenais une fois pour toutes à constater.

Fauriel connut beaucoup Villers dans les premières années du siècle, et cette relation a laissé des traces. Villers, homme de beaucoup d’esprit, le premier Français qui ait bien su l’Allemagne et qui ait parlé pertinemment de Kant, Villers, déjà muni d’une science ingénieuse et plein de vues neuves, était venu à Paris sous le Consulat ; il devait finir par être professeur à Gottingue, combinant, ainsi que Chamisso, dans une mesure heureuse les qualités des deux nations : « Il