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il semblerait que les pressentimens du philhellène français seraient destinés à avoir leur accomplissement plus tôt qu’il ne le pensait lui-même.

L’importance européenne de la question qui recommence à s’agiter à huis-clos entre les représentans des trois grandes puissances nous oblige à reprendre rapidement les faits des dernières années, pour mieux caractériser l’état actuel du royaume hellénique, et en tirer des inductions plus exactes sur la ligne de conduite que devrait suivre notre diplomatie dans ces graves circonstances.

Opprimée au nom de toute l’Europe par sa cour allemande, la Grèce, depuis 1833, n’osait plus se remuer, lorsqu’en 1840 le traité Brunov, en renouvelant la sainte alliance, isola la France et rendit aux Grecs l’espoir bien fondé d’avoir au moins pour eux le cabinet français. Alors éclatèrent les insurrections crétoises, macédoniennes et bulgares, qui, si elles eussent été soutenues, comme elles le méritaient, auraient arraché à la Porte, en faveur des raïas, des concessions dont les Turcs eux-mêmes auraient eu plus tard à s’applaudir ; mais l’égoïsme des ministres bavarois réprima tous les efforts des Grecs du royaume pour voler au secours des insurgés, et ces derniers durent enfin céder aux menaces de l’Angleterre et à la réprobation jetée sur eux par les consuls européens au nom de l’intégrité de l’empire ottoman. Les trois principaux chefs du mouvement condamné par les grandes puissances, Velentsas, Tsamis Karatasso et le Crétois Chaeretis, réussirent, avec leurs principaux palicars, à se sauver en Grèce, où l’animadversion européenne alla jusqu’à forcer le gouvernement de faire subir à ces victimes de la diplomatie une sorte d’arrestation préventive. Ainsi refoulée et contrainte à sévir contre les plus généreux d’entre ses enfans, la nationalité grecque, durant les années 1842 et 1843, dirigea toute son énergie vers la réforme de son ordre social, comme vers le seul moyen qui lui restât d’obtenir à l’intérieur un gouvernement patriotique dont le concours permît ensuite au pays de réagir au dehors.

La plus grave difficulté qui s’opposât au triomphe de la réforme était le manque d’hommes aptes à diriger le mouvement populaire. La cour, afin de maintenir son despotisme, avait éloigné du pays toutes les hautes capacités, elle avait exilé Metaxas, annulé Coletti en le faisant ambassadeur à Paris ; elle ne rappela de Londres Mavrocordato que pour l’envoyer immédiatement après à Constantinople, sous prétexte qu’il fallait près du divan un diplomate habile pour arranger la querelle des vakoufs. Quoiqu’il eût privé la Grèce de tous ses hommes éminens, le ministère bavarois, désespérant de maintenir son absolutisme sans secours étranger, ne rougit pas de demander aux puissances un second emprunt, qui le mît en état de rétablir l’ordre dans le pays ; mais cette demande eut un résultat tout contraire à celui que le ministère en attendait : elle fit voir clair aux puissances, même sur le premier emprunt, accordé aussi pour aider à rétablir l’ordre. Les trois grands cabinets ne se contentèrent pas de refuser l’emprunt, ils demandèrent encore à voir les comptes du gouvernement d’Athènes. Cette circonstance inattendue anima le peuple grec d’un nouveau courage. Plutôt que de laisser mettre son roi en tutelle