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cas, ménager ses susceptibilités. Cependant, il y a une limite qu’un gouvernement loyal ne doit jamais dépasser. Il ne doit jamais subir un arrêt de défiance prononcé contre lui ; à plus forte raison ne doit-il pas le signer et le rédiger lui-même : or, c’est ce que le ministère a fait dans la discussion sur l’armement. Que voulait l’opposition ? Faire triompher un amendement qui attacherait aux fortifications un caractère suspect. L’amendement de l’honorable M. Bethmont n’avait pas d’autre sens. Cet amendement voulait dire : « Les fortifications de Paris sont une menace pour la liberté ; il faut prendre contre elles des garanties, il faut lier le pouvoir. » Cette injurieuse défiance, exprimée contre un gouvernement libéral, généreux envers ses ennemis, modéré devant l’émeute, scrupuleux observateur des lois, les ministres de la révolution de juillet devaient-ils l’accepter ? N’y avait-il pas dans la chambre une majorité prête à soutenir un cabinet qui aurait courageusement repoussé cette humiliation ? Pouvait-on transiger sur un semblable terrain ? Le ministère a eu cette faiblesse. Pour éviter le combat, il a proposé lui-même, sous une autre forme, ce que l’amendement réclamait. Il a fait insérer dans la loi que le matériel de l’armement ne pourrait être transporté de Bourges à Paris qu’en cas de guerre. Il a reconnu ainsi que le gouvernement pouvait être suspect, et qu’il était bon de prendre contre lui des garanties spéciales. Au fond, l’opposition ne voulait pas autre chose, et l’honorable M. Bethmont, devant cette concession du cabinet, aurait pu retirer son amendement.

Nous avons entendu des membres du parti conservateur exprimer leur opinion sur cette nouvelle faute du ministère. Leur affliction était grande. Leur langage était plus sévère que le nôtre. Ils déploraient amèrement cet abandon successif de toutes les positions du pouvoir. Ils étaient les premiers à condamner cette politique passive, dont le seul but est de prolonger l’existence matérielle d’un cabinet au prix de sa dignité et de sa force. Pour justifier cette politique, on prétend que les circonstances l’ont rendue nécessaire ; on dit que nous sommes dans un moment de transition, qu’il faut savoir attendre, qu’une conduite ferme et décidée perdrait tout aujourd’hui, que le seul moyen de gouverner est d’employer les ressources de la stratégie parlementaire. Hélas ! oui, la stratégie parlementaire, autrement dit la faiblesse et la ruse, est peut-être la seule voie de salut qui reste au cabinet du 29 octobre ; mais la stratégie parlementaire ne sauvera pas le pouvoir, elle ne fera que l’abaisser et l’amoindrir de plus en plus.

Quoi qu’il en soit, si nous regrettons de voir dans la loi sur l’armement une formule de défiance dont l’insertion n’aurait pas dû être consentie par le ministère, ce n’est pas que l’article voté par la chambre ait une grande portée en lui-même, et qu’il puisse jamais entraver l’action légitime du gouvernement. En réalité, on n’a réussi qu’à humilier le pouvoir ; on ne l’a pas enchaîné. Tous les gens de bon sens savent fort bien que les fortifications de Paris ne sont pas faites pour la paix ; jamais un ministère constitutionnel