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parfaitement tranquille. Cependant les notabilités de la pairie témoignent un vif mécontentement : M. le chancelier, particulièrement, ne cache à personne comment sa bonne foi a été surprise. Dans l’origine, on lui a demandé s’il accepterait une promotion générale de trente à quarante pairs ; il a refusé. Puis, on lui a demandé s’il accueillerait le système des petites promotions ; il a trouvé l’offre convenable. Dans sa sincérité, il ne soupçonnait pas la perfidie du ministère. Il ne savait pas que les petites promotions, en se renouvelant tous les quinze jours, atteindraient ou dépasseraient bientôt le chiffre de cette grande promotion, dont le projet l’avait frappé d’épouvante. Il ne savait pas surtout que l’on ouvrirait les deux battans du Luxembourg aux choix les plus bizarres. Jugez de son étonnement, quand il a vu entrer dans la noble chambre certaines infirmités morales ou physiques, très respectables d’ailleurs, très honorables, mais qu’il était si peu nécessaire, dans leur intérêt même, d’affubler du manteau de pair ! Que dirait donc aujourd’hui M. d’Argout ? Ce n’est pas tout ; il y a quelque chose de plus sérieux jusqu’ici, les ministères, en faisant des promotions, avaient consulté les convenances de la pairie plutôt que celles de la chambre des députés. Un siège au Luxembourg n’était pas un moyen d’assurer la majorité au. Palais-Bourbon. Si certains choix permettaient de supposer un semblable calcul, on prenait au moins la peine de le dissimuler. Il était réservé au ministère du 29 octobre de dépouiller à cet égard tous les scrupules. La pairie lui sert à se fortifier au Palais-Bourbon ; il l’avoue franchement. Tel est nommé pair parce qu’il sera remplacé à la chambre par un député plus sûr, tel autre parce qu’il gêne une élection ministérielle, un troisième parce que son concours sera précieux aux élections prochaines, et ainsi des autres. Comment de pareils choix ne feraient-ils pas naître des réflexions tristes dans le sein de la pairie ? Qu’on se rappelle les engagemens contractés vis-à-vis d’elle en 1830. Pour prix de cette hérédité dont l’abandon était exigé par l’esprit du temps, on lui garantissait le prestige attaché à l’illustration des services, à l’autorité des lumières, à l’éclat du talent, à l’indépendance des grandes situations. Or, parmi les choix nouveaux, combien remplissent, nous ne disons pas toutes ces conditions, mais une seule ? Le ministère, dit-on, s’inquiète fort peu des mécontentemens qu’il a soulevés au Luxembourg. La pairie murmure ; un grand corps de l’état est froissé ; une institution fondamentale se détériore et s’abaisse ; la pensée d’une modification tôt ou tard inévitable se répand dans les esprits graves ; l’équilibre réel ou fictif de notre constitution menace de se rompre. Qu’importe ? Cela pourra créer des embarras sérieux pour l’avenir ; mais ce n’est pas cela qui peut renverser le cabinet.

Le bruit s’est répandu que plusieurs têtes couronnées viendraient à Paris au mois de juillet. On a dit que la reine d’Espagne et la reine d’Angleterre seraient du nombre des augustes personnages qui se donneront rendez-vous pour visiter le roi des Français. Nous doutons que ces nouvelles se confirment sérieusement ; la présence de la reine Isabelle au château des Tuileries serait