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Rempli pour son illustre chef d’une confiance justement méritée, mais qui n’excluait pas toute indépendance, on l’avait vu soutenir le pouvoir et la prérogative royale sans se croire pourtant obligé de repousser constamment des projets d’améliorations et de réformes qui, d’ailleurs, obtenaient souvent le concours du ministère lui-même. L’opposition, de son côté, puissante en nombre, en talens, en lumières, tempérait la véhémence passionnée de ses attaques par un respect sincère pour la dynastie régnante et un profond attachement à la constitution, et si, dans les derniers temps, quelques-uns de ses orateurs, échauffés par la révolution française, avaient parfois dévié de cette ligne de sagesse, ils n’avaient fait, par ces écarts réfléchis, qu’affaiblir leur position personnelle. Cette époque est, en quelque sorte, l’ère classique, l’idéal de la constitution britannique, celle où elle a le plus régulièrement marché dans ses voies, où l’action de chacun des pouvoirs qu’elle consacre a le plus parfaitement répondu à l’esprit de l’institution, où elle a déployé avec le plus de grandeur cette puissance particulière aux gouvernemens libres, de faire éclater tout ce qu’un pays renferme de génie, d’éloquence, de talent et de courage. C’est aussi la plus belle partie de la vie de Pitt, ou du moins la plus heureuse.

La période dans laquelle nous allons entrer nous offrira un tout autre spectacle. Au lieu de ces belles luttes parlementaires qui, dans leur modération et leur régularité, sont peut-être l’expression la plus significative d’une haute civilisation, nous y verrons une de ces guerres mortelles où les peuples combattent, non plus pour leur grandeur, mais pour leur existence, et où, menacés à la fois par l’ennemi intérieur et extérieur, réduits aux dernières extrémités, forcés de recourir aux dernières ressources, ils ne peuvent plus reconnaître d’autres lois que celle du salut public. Nous verrons jusqu’à quel point Pitt se trouva au niveau de cette terrible crise.

Au moment où la France se déclara en état d’hostilité contre le gouvernement britannique, la conquête l’avait déjà rendue maîtresse de la Savoie, du comté de Nice, de Mayence, de tout le cours du Rhin, des Pays-Bas autrichiens, de l’évêché de Liège, et elle se préparait à envahir la Hollande tremblante. Ces premiers succès, dus à une sorte de surprise, n’avaient sans doute rien de décisif en présence des forces considérables que l’Europe presque entière réunissait alors pour en arrêter le cours. Cependant, ils donnaient au gouvernement révolutionnaire une attitude imposante, et plusieurs semaines s’écoulèrent avant que les évènemens y portassent aucune