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Robert ; car Chesterfield savait l’histoire du testament mis dans la poche, et il menaçait de la dire tout haut.

Caroline était le caractère le plus noble, le plus élevé et le plus pur de cette époque ; elle ne se fût point rapprochée aussi intimement de l’homme avili dont Bolingbroke et Swift ont souillé le portrait ; et ce qu’il faut croire, c’est que Robert valait un peu mieux que ses rivaux mécontens ne l’ont prétendu. Bientôt cependant on joua un jeu plus serré. La reine et le ministre s’entendaient si bien, que toutes les volontés de l’une s’exécutaient par l’entremise de l’autre, et tous les obstacles que ce dernier rencontrait s’aplanissaient sous la main de la reine. Il faut voir cette situation clairement dans les Réminiscences d’Horace Walpole : « La reine entrait chez son mari, et, comme elle y apercevait sir Robert, elle faisait la révérence et se retirait humblement. Le roi la suppliait de rester ; elle prenait un siège, semblait ne faire aucune attention aux affaires qui se traitaient et s’occuper de toute autre chose. Quelquefois George II lui demandait son avis : — Je n’entends rien à la politique, — répondait-elle. Cette modestie ravissait le soldat George, qui ne craignait rien tant que d’être mené ; crainte commune à tous les faibles. Le roi insistait, et, sur certains signes convenus d’avance entre elle et mon père, elle parlait ou se taisait, s’avançait ou s’arrêtait, se tenait sur la réserve ou hasardait son opinion ; tout cela était si bien concerté, que ni le roi ni les assistans, quand par hasard il y en avait, ne devinèrent jamais la scène arrangée entre la reine et le ministre. Mon père jouait avec son chapeau, prenait son épée, tirait son mouchoir, plissait son jabot ; chacun des détails de cette télégraphie avait un sens précis. En général, les matières discutées par le roi et le ministre avaient été la veille même passées en revue et coulées à fond par la reine et sir Robert ; mais ce qui m’amuse infiniment, continue Horace, c’est la bonhomie des contemporains et des historiens, qui tous ont été dupes comme le roi. Ils ont imaginé que la reine ne se mêlait jamais des affaires de l’état ; elle menait l’Angleterre, de concert avec mon père. »

Robert Walpole, qui avait l’intuition du bon sens, et qui devinait les choses avec une sagacité vraiment prodigieuse et une sûreté d’à propos qui n’a jamais été dépassée, triompha sur toute la ligne de 1727 à 1737. Bolingbroke, vaincu par l’humiliation, se retira encore en France ; la majorité n’abandonna point sir Robert ; la caisse d’amortissement fut établie, toute guerre étrangère éludée, et le commerce prospéra. D’accord avec le pacifique cardinal Fleury, qui gouvernait