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capital, tendre tous les ressorts jusqu’aux plus extrêmes limites, il se flatta de l’espérance que la France épuisée tomberait bientôt aux pieds de ses ennemis. On l’entendit souvent répéter que la guerre durerait, au plus deux campagnes, et l’argument dont il appuyait cette assertion, c’était la ruine financière de la France, l’anéantissement de son crédit. Un émigré, fatigué de voir reproduire sans cesse un raisonnement si peu applicable à l’état révolutionnaire de la France, lui en fit sentir la faiblesse par un mot assez piquant : « L’histoire, lui dit-il, l’histoire ne nous a pas conservé le nom du chancelier de l’échiquier d’Attila. »

Burke, éclairé par la haine passionnée qu’il portait à la révolution française et doué d’ailleurs d’un esprit plus philosophique, voyait, mieux la situation. Si, au début de cette révolution, lorsqu’elle n’avait pas pris encore son immense essor, il s’était abusé jusqu’à croire qu’elle aurait pour résultat d’ôter à la France toute puissance et toute influence extérieures, il n’avait pas tardé à revenir de cette illusion. Une fois la guerre déclarée, il ne cessa de dire qu’elle serait longue et difficile, qu’en la considérant comme une guerre ordinaire, en voulant la soutenir par les seuls moyens usités dans les circonstances communes, en ne dirigeant pas exclusivement tous les efforts des coalisés vers la destruction du gouvernement conventionnel et le rétablissement de la monarchie légitime, on s’exposait à des revers certains et à de mortels dangers. Les idées qu’il proclamait ainsi sont précisément celles qui ont dirigé vingt ans après la coalition sous laquelle Napoléon a succombé. Burke avait raison d’une manière absolue, il lisait prophétiquement dans l’avenir ; mais on peut se demander s’il dépendait du cabinet de Londres d’adopter, dès cette époque, une politique que repoussaient alors les passions, les intérêts, les préjugés des autres cours, et à laquelle vingt années d’une cruelle expérience ont à peine suffi pour les ramener.

Cependant le gouvernement conventionnel, mollement attaqué, avait eu le temps de substituer à l’anarchie la dictature la plus énergique dont les temps modernes nous offrent l’exemple. Le comité de salut public, étouffant par la terreur jusqu’à la moindre velléité de résistance, et disposant à la fois de toute la population virile par la réquisition, de toutes les richesses du pays par les confiscations, les assignats et le maximum, était déjà parvenu, d’une part, à comprimer l’insurrection girondine, de l’autre à arrêter les progrès de l’insurrection vendéenne. Avant même de s’être ainsi affermi contre l’ennemi intérieur, il avait poussé vers la frontière des masses énormes de jeunes soldats dont