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la France, il maintint le repos de l’Europe, et cette paix, si favorable au développement industriel et maritime de l’Angleterre, était une duperie pour la France, qui endormait ainsi la décadence de sa monarchie.

Cet homme, qui gouvernait la reine et le roi, gouvernait aussi les communes. Ce n’était pas toujours par des ressorts bien purs ; il s’adressait d’abord à l’intérêt, ensuite à l’amour-propre. Son fils raconte sur ses moyens de succès et sa captation perpétuelle des hommes une foule de traits délicieux qui rempliraient un volume. Les consciences qu’on l’accusait de séduire venaient à lui pour être séduites ; devait-il les décourager ? C’est une question de moraliste qui a bien sa valeur, mais qui ne peut s’appliquer à ce praticien consommé dans l’art de conduire les partis. Il proposait un jour à Bubb Doddington, qui avait déjà fait six conversions d’un parti à l’autre, selon l’occasion et la nécessité ; d’en exécuter une septième, ne lui laissant pas ignorer qu’une place agréable récompenserait son dévouement. « - Ah ! s’écria lord Melcombe (Bubb Doddington), fi donc ! quelle horreur ! Vous m’avez toujours aimé et distingué ; je dînai chez votre frère avant-hier ; vous m’avez souri l’autre jour, je vous ai les obligations les plus grandes ; il est naturel, il est juste, il est nécessaire que je vous rende le service que vous réclamez : je le ferai par reconnaissance sans aucun intérêt. » Et il continua ainsi pendant une bonne demi-heure. Le patient Robert l’écoutait sans prononcer un mot. Il se contenta de le saluer en lui disant : « A la bonne heure ! nous nous comprenons. »

Ils se comprenaient, en effet, très bien ; mais on aurait tort de croire qu’il usât souvent de ces séductions grossières. Il démêlait les nécessités et les tendances des familles, détachait du prétendant tous ceux que l’ambition ou la fortune pouvait en détacher, satisfaisait les gens de cour par des places, et les gens de commerce par le calme des relations extérieures. En 1737, la reine, son alliée secrète, mourut, et ses dernières paroles furent adressées à Robert : « Je vous recommande le roi, lui dit-elle. » George II était trop faible pour se laisser protéger long-temps, et le système pacifique de Robert, ayant augmenté les forces du pays, lui donnait le désir et le besoin d’user de ces forces pour la conquête. De 1737 à 1742, le ministre ne fit que se défendre pied à pied contre une opposition dont la masse devenait chaque jour plus redoutable. Il résista autant qu’il le put, et ne tomba qu’au dernier moment ; encore fallut-il une combinaison inouie de tous ses adversaires pour le renverser ; il faut lire chez Horace la description du combat. « Ils amenèrent, dit-il, jusqu’à leurs blessés