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un ennemi qui pût leur tenir tête, mais la mer leur était moins favorable. Là, les Anglais possédaient une telle supériorité qu’il aurait fallu, pour la balancer, des circonstances vraiment miraculeuses. Lorsque la guerre avait commencé, la France comptait 66 vaisseaux de ligne et 96 frégates ou corvettes, mais l’émigration avait fait disparaître la meilleure partie des officiers, et la licence révolutionnaire, en répandant parmi les matelots une funeste indiscipline, avait contribué plus encore à affaiblir les équipages. L’Angleterre, de son côté, avait 158 vaisseaux de ligne, 22 vaisseaux de 50 canons, 125 frégates et 108 moindres bâtimens, montés par d’excellens marins. L’Espagne et la Hollande, ses alliées, avaient aussi de nombreuses escadres. Enfin, dès l’année précédente, cette disproportion énorme s’était encore accrue, par la destruction partielle de l’escadre de Toulon. La marine française se trouva ainsi hors d’état de protéger nos colonies et nos possessions éloignées contre les agressions de l’Angleterre. Déjà la France avait perdu Tabago et Pondichéry. Dans le cours de cette année, elle se vit encore enlever une partie de Saint-Domingue, la Martinique, la Guadeloupe, Sainte-Lucie et d’autres îles moins considérables. En Europe même, la Corse, déchirée par la guerre civile, appela les Anglais, qui se hâtèrent d’en prendre possession ; George III fut proclamé par une consulte nationale roi constitutionnel de la Corse. L’amiral français Villaret-Joyeuse était sorti de Brest avec vingt-six vaisseaux de ligne pour assurer l’arrivée d’un convoi attendu d’Amérique. L’amiral anglais lord Howe, dont l’escadre était à peu près de la même force, l’attaqua, le battit, lui coula bas deux vaisseaux, en prit sept, et cependant, épuisé par ce combat même, dans lequel les républicains avaient montré, malgré leur inexpérience, un courage héroïque, il ne put poursuivre les vaincus ni arrêter le convoi. Peu auparavant, deux frégates françaises avaient été capturées près de Guernesey.

Quelque satisfaction qu’excitassent chez les Anglais ces succès maritimes, on ne pouvait se dissimuler qu’ils étaient presque insignifians pour l’issue de la guerre. L’espoir de la terminer victorieusement s’affaiblissait de jour en jour, ou plutôt il avait déjà complètement disparu, et les puissances alliées, loin de pouvoir penser, comme l’année précédente, à étouffer le foyer révolutionnaire, étaient réduites à une pénible défensive. Tous les calculs de Pitt, tous les argumens par lesquels il avait obtenu de ses compatriotes de si énormes sacrifices, se trouvaient convaincus d’erreur. Si sa position personnelle n’en était pas ébranlée, le prestige d’infaillibilité qu’il avait si long-temps