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semblables. Vainement les officiers voulurent s’opposer au mouvement qui s’annonçait ainsi ; on les mit en état d’arrestation, et des délégués désignés d’avance, au nombre de deux pour chaque bâtiment, se réunirent dans la cabine de l’amiral. Ils commencèrent par exiger de chacun des marins le serment d’obéissance, et par décréter la peine de mort contre quiconque déserterait la cause commune ; ils signèrent ensuite deux pétitions adressées, l’une à la chambre des communes, l’autre à l’amirauté, pour réclamer une augmentation de paie, des améliorations dans leur nourriture, un traitement plus favorable pour les malades et les blessés, enfin la permission pour les matelots d’aller librement à terre lorsqu’on se trouverait dans un port. Il est facile de concevoir la vive impression que produisit à Londres la nouvelle d’un pareil évènement. On ne pouvait penser à employer la force ; on se décida à négocier avec les rebelles. Le premier lord de l’amirauté, le comte Spencer, accompagné de deux de ses collègues, se rendit à Portsmouth pour conférer avec leurs délégués. Il fit un appel à leur patriotisme ; il les adjura de rentrer dans l’ordre, leur promettant que le gouvernement demanderait à la chambre des communes les moyens de satisfaire à une partie de leurs réclamations pécuniaires. Peu sensibles à ces concessions, les délégués mirent en avant des prétentions nouvelles. Les pourparlers traînèrent en longueur avec des alternatives diverses. Lord Howe et plusieurs autres amiraux connus pour la confiance qu’ils inspiraient aux marins furent appelés à y prendre part. Plus d’une fois on parut toucher à une rupture qui aurait entraîné les plus extrêmes violences. Après trois semaines d’incertitude, il fallut, pour ramener à la soumission l’escadre révoltée, que le roi accordât une complète amnistie, et que la chambre des communes, sur la motion de Pitt, régularisât par un vote des concessions qui imposaient au trésor une charge de 400,000 livres sterling. Lord Howe ayant porté aux équipages insurgés ces témoignages de la terreur qu’ils inspiraient, ils consentirent enfin à mettre à la voile. L’escadre de Plymouth, qui avait imité celle de Portsmouth dans sa révolte, l’imita aussi dans sa soumission.

Cette soumission ainsi achetée était peu rassurante pour l’avenir ; et en effet, tandis qu’on se félicitait d’avoir échappé à un aussi grand péril, on apprit qu’un mouvement analogue, mais d’un caractère plus menaçant, plus révolutionnaire encore, avait éclaté dans l’escadre de la Nore, à laquelle vinrent se joindre plusieurs des vaisseaux de l’escadre de la mer du Nord. Les insurgés s’étaient donné pour chef un matelot appelé Parker, homme de quelque éducation et d’un caractère