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Telle fut la fin de la révolte irlandaise. Cette guerre, poussée avec la fureur qui caractérise les guerres civiles, surtout lorsque les haines de race et de religion viennent exalter le fanatisme de l’esprit de parti, avait, dit-on, fait périr en quelques semaines plus de trente mille personnes. Les cours d’assises et les conseils de guerre, devant lesquels on traduisit les prisonniers, augmentèrent encore le nombre des victimes. Des centaines de malheureux montèrent sur l’échafaud ; parmi eux, on comptait des hommes recommandables par leur considération personnelle, par leur rang, par leur caractère privé, et beaucoup de prêtres catholiques. La réaction fut atroce. Heureusement, elle dura peu. Bientôt le marquis de Cornwallis, ayant remplacé lord Camden dans la vice-royauté, publia une amnistie qui mit fin à ces boucheries effroyables, et par un sage mélange de fermeté et d’esprit de conciliation, il commença à rétablir l’ordre moral, à calmer les esprits, à fermer les plaies douloureuses que quelques mois d’emportemens furieux avaient faites au pays.

L’Irlande était domptée, et pour bien long-temps réduite à l’impossibilité de tenter un autre soulèvement. L’orage qui grondait depuis quatre ans sur le gouvernement britannique avait éclaté sans l’abattre, et, fortifié par là dans sa situation intérieure, ce gouvernement était bien mieux placé pour faire face aux difficultés du dehors. Un grand évènement vint, d’ailleurs, modifier à son avantage les chances de la lutte qu’il continuait à soutenir contre la France dans des conditions en apparence si inégales. Le 1er août, l’amiral Nelson, qui n’avait pu empêcher Bonaparte de débarquer en Égypte, attaqua audacieusement, devant Aboukir, l’escadre qui l’y avait conduit. Après une des batailles les plus acharnées et les plus sanglantes dont on ait gardé le souvenir, cette escadre fut anéantie. De treize vaisseaux de ligne qui la composaient, deux seulement parvinrent à s’échapper, neuf tombèrent entre les mains du vainqueur, les deux autres avaient péri dans les flammes avec l’amiral français Brueys. Les conséquences de cette victoire furent immenses. Non-seulement elle porta un coup terrible à la marine française, non-seulement, en ôtant à l’armée d’Égypte les moyens de communiquer sûrement avec la France, elle la frappa en quelque sorte d’impuissance dans sa nouvelle conquête, et la mit dans l’impossibilité de donner suite aux projets médités contre l’Inde ; ces effets directs de la bataille d’Aboukir s’effacent en quelque sorte devant l’influence qu’elle exerça sur les dispositions de l’Europe ce fut le signal, la cause déterminante de la seconde coalition qui s’organisa bientôt après contre le directoire.