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une paix solide ? Avec son caractère personnel, dans les circonstances qui l’ont porté au pouvoir, a-t-il une autre garantie de la conservation de ce pouvoir que celle qu’il trouve dans son épée ? Est-il lié au sol, aux affections, aux habitudes, aux préjugés du pays ? Pour la France, il n’est qu’un étranger et un usurpateur ; il réunit dans sa personne tout ce qu’un pur républicain doit détester, tout ce qu’a abjuré un jacobin fanatique, tout ce qu’un royaliste sincère et fidèle doit ressentir comme une insulte. Pour peu qu’il rencontre un obstacle dans sa marche, à quoi en appelle-t-il ? A sa fortune, en d’autres termes à son armée et à son épée. Plaçant toutes ses ressources, toute sa confiance dans l’appui de l’armée, peut-il se résigner à laisser son renom militaire s’effacer, le souvenir de ses exploits tomber dans l’obscurité ? Est-il certain que le jour où l’invasion des contrées voisines lui serait interdite, il eût la possibilité d’entretenir une force assez nombreuse pour soutenir sa puissance ? N’ayant d’autre but que la possession du pouvoir absolu, d’autre passion que celle de la gloire militaire, peut-il prendre au maintien de la paix un intérêt assez grand pour qu’il nous devienne possible de déposer les armes, de réduire nos dépenses, de renoncer, sur la foi de ses engagemens, aux mesures qui font notre sécurité ? Croirons-nous qu’après avoir signé la paix, il ne se rappellerait pas avec amertume les trophées de l’Égypte arrachés de ses mains par la glorieuse victoire d’Aboukir, et les exploits de cette poignée de marins anglais dont l’influence et l’exemple ont rendu les Turcs invincibles dans Saint-Jean-d’Acre ? Peut-il oublier que le résultat de ces exploits a mis l’Autriche et la Russie en état de recouvrer, en une campagne, tout ce que la France avait conquis, a dissipé le charme qui avait un moment fasciné l’Europe, et a prouvé aux puissances que leurs généraux, combattant pour une juste cause, peuvent effacer les plus éblouissans triomphes d’une insatiable ambition ? Avec tous ces souvenirs profondément. imprimés dans son esprit, si, après une année, dix-huit mois de paix, les symptômes d’une autre insurrection irlandaise, encouragée par le rétablissement libres communications avec la France et par une nouvelle infusion des principes du jacobinisme, venaient à se manifester, si, en ce moment, nous n’avions pas de flotte pour surveiller les ports de France ou pour garder les côtes d’Irlande, pas d’armée disponible, pas de milice enrégimentée, si, de son côté, Bonaparte avait les moyens de transporter sur notre sol vingt ou trente mille soldats, croirons-nous que, devant une tentation aussi puissante, son esprit ambitieux et vindicatif se laisserait arrêter par les clauses d’un traité ? Dans le cas