Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en matière électorale par ses ennemis politiques, qui voulaient se défaire de lui. C’était un gentilhomme campagnard fort colère, qui avait été acquitté et qui méritait de l’être. Son ancien ennemi Norton eut la mauvaise pensée de rappeler cette vieille affaire, et sir John en prit occasion de raconter toute l’histoire, qui faisait peu d’honneur à l’avoué Norton. Il finit par ces mots : « j’en appelle, pour la vérité des faits, à cet honnête gentilhomme, et je lui demande pardon si je ne l’appelle pas par son nom. » Il se fit une grande huée qui força l’avoué de se rasseoir en rougissant.

« Ce n’était encore que l’intermède, et tout ce tapage était décent et calme auprès de ce qui suivit. Rigby se mit à attaquer furieusement le frère de James Grenville, Temple, qu’il accusa, démagogue de la pairie, de se montrer au balcon des tavernes, afin d’exciter le peuple, faisant de son cordon bleu un signe de ralliement pour l’émeute. Alors Grenville se leva et défendit son frère dans le même style, vomissant un torrent d’invectives avec des gestes furieux et une facilité de langage qui surprenait tout le monde ; car on savait que, dans les cas ordinaires, cet instigateur de Wilkes avait à peine deux paroles de suite à prononcer. Il rappela à Rigby sa rapacité et son ignorance, s’étonnant qu’on eût pu confier à un homme aussi profondément ignare la maîtrise des rôles d’Irlande, et le montrant dans sa fuite honteuse, lorsque la populace irlandaise le poursuivait comme déprédateur. La scène était curieuse. Comme le banc sur lequel était assis Grenville dominait celui de Rigby, et que les gestes menaçans de l’orateur paraissaient écraser son adversaire, Rigby baissait les épaules et la tête pour échapper aux démonstrations d’une éloquence effrénée. Le président s’interposa le plus tard qu’il put, et Rigby, se levant, répondit avec beaucoup de sang-froid « que la maîtrise des rôles étant une sinécure, un ignorant tel que lui pouvait très bien remplir cet office. »

C’est surtout le ridicule qui n’échappe jamais à Horace Walpole. Voyez comme il peint de délicieuses couleurs l’homme aux variations constitutionnelles, Bubb Doddington ou lord Melcombe, dont on vient de réimprimer les mémoires. Lord Melcombe, singulier personnage, est le fils naturel, mais trop naturel, du gouvernement constitutionnel et représentatif. Sa singularité consiste à n’avoir pas plus aperçu les vices de son temps que Brantôme ne voyait les vices du sien, d’avoir été parfaitement bas avec orgueil, vénal en sûreté de conscience, et d’avoir inscrit jour par jour ses turpitudes comme des trophées.