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beaucoup moins ; en un mot, il offrit toute une menue monnaie pour rançon du premier récit : le marché fut conclu, et Beyle, enchanté du troc, lui écrivait :


« Monsieur, si je n’étais pas si âgé, j’apprendrais l’arabe, tant je suis charmé de trouver enfin quelque chose qui ne soit pas copie académique de l’ancien. Ces gens ont toutes les vertus brillantes.

« C’est vous dire, monsieur, combien je suis sensible aux anecdotes que vous avez bien voulu traduire pour moi. Mon petit traité idéologique sur l’amour aura ainsi un peu de variété. Le lecteur sera transporté hors des idées européennes. — Le morceau provençal, que je vous dois également, fait déjà un fort bon repos. »


Beyle était un homme de beaucoup d’esprit ; il haïssait aussi, on le voit, l’académique et le convenu ; il cherchait le simple, mais il courait après et il affectait de le saisir, ce qui est une autre manière de le manquer.

Les Chants populaires de la Grèce moderne, publiés par Fauriel, avaient le rare avantage de concilier avec le spontané et le naturel, qui distinguent proprement cette veine d’inspirations, une grace et une fleur d’imagination qu’elles n’offrent pas toujours et qui tenaient ici à ce fonds immortel d’une race heureuse. En de telles productions naïves, Fauriel ne reculait pas au besoin devant le rude et l’inculte ; mais, là comme ailleurs, il aimait surtout le délicat, le pathétique, le généreux, et il put ici se satisfaire à souhait lui et ses lecteurs. Bien n’égale le jet hardi, la fraîcheur et la saveur franche de bon nombre de ces pièces. Les chansons historiques et héroïques des klephtes, qui se rattachent à la longue lutte de la population indigène contre les Turcs, forment la partie guerrière du recueil, celle qui avait trait directement aux circonstances de l’insurrection d’alors ; ce sont les fragmens d’une Iliade brisée, mais d’une Iliade qui dure et recommence. Viennent ensuite les chansons romanesques ou idéales, celles ou la fiction a plus de part et qui se rapportent à des légendes ou à des superstitions populaires ; plus d’une respire le souffle errant d’un Théocrite dont la flûte s’est perdue, mais qui en retrouve dans sa voix quelques notes fondamentales. La troisième classe du recueil comprend les chansons domestiques, celles qui célèbrent les fêtes et les solennités de la famille, le mariage, les funérailles, le retour du printemps et des hirondelles. Dans l’excellent et instructif Discours préliminaire qu’il a mis en tête du volume, Fauriel a caractérisé surtout cette dernière classe d’une manière charmante et d’un ton pénétré ;