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un esprit nourricier. Ses amis les historiens durent s’en ressentir. Placé au centre des communes recherches, éloigné de toute pensée de rivalité ou même d’émulation, et n’en apportant pas moins le plus vif intérêt au fond des choses, il était naturellement le confident de leurs projets, de leurs travaux, des jugemens qu’ils portaient les uns sur les autres. Toutes les grandes questions s’agitaient ainsi en divers sens à son oreille, et il avait voix prépondérante auprès de chacun. Nous ne saurions, dans tous les cas, rien trouver à citer de plus honorable et de plus significatif pour Fauriel que ce qu’a écrit de lui M. Augustin Thierry, dans la préface de ses Études historiques, où il lui rend le plus touchant et le plus noble des hommages :


« Comme on l’a souvent remarqué, dit M. Thierry en revenant avec charme sur ses travaux de l’année 1821, toute passion véritable a besoin d’un confident intime ; j’en avais un à qui, presque chaque soir, je rendais compte de mes acquisitions et de mes découvertes de la journée. Dans le choix toujours si délicat d’une amitié littéraire, mon cœur et ma raison s’étaient heureusement trouvés d’accord pour m’attacher à l’un des hommes les plus aimables et les plus dignes d’une haute estime. Il me pardonnera, je l’espère, de placer son nom dans ces pages, et de lui donner, peut-être indiscrètement, un témoignage de vif et profond souvenir : cet ami, ce conseiller sûr et fidèle, dont je regrette chaque jour davantage d’être séparé par l’absence, c’était le savant, l’ingénieux M. Fauriel, en qui la sagacité, la justesse d’esprit et la grace de langage semblent s’être personnifiées. Ses jugemens, pleins de finesse et de mesure, étaient ma règle dans le doute ; et la sympathie avec laquelle il suivait mes travaux me stimulait à marcher en avant. Rarement je sortais de nos longs entretiens sans que ma pensée eût fait un pas, sans qu’elle eût gagné quelque chose en netteté ou en décision. Je me rappelle encore, après treize ans, nos promenades du soir, qui se prolongeaient en été sur une grande partie des boulevards extérieurs, et durant lesquelles je racontais, avec une abondance intarissable, les détails les plus minutieux des chroniques et des légendes, tout ce qui rendait vivans pour moi mes vainqueurs et mes vaincus du XIe siècle, toutes les misères nationales, toutes les souffrances individuelles de la population anglo-saxonne, et jusqu’aux simples avanies éprouvées par ces hommes morts depuis sept cents ans et que j’aimais comme si j’eusse été l’un d’entre eux. »


À ces récits de l’éloquent et sympathique historien pour les Anglo-Saxons vaincus, Fauriel pouvait répondre par d’autres récits non moins attachans sur ses pauvres vaincus du Midi, sur ces Aquitains toujours écrasés et toujours résistans, toujours empressés de renaître à la civilisation au moindre rayon propice de soleil. Nous y reviendrons avec lui tout à l’heure. Il y aurait encore, comme pendant et parallèle