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point dans sa marche par la déduction trop continue, trop complaisante, de ses indécisions et de ses conjectures, et qu’il n’y joint pas plus habituellement qu’on ne voudrait des retards superflus d’expression, et ce qu’on appellerait du gros bagage de style. J’ai parlé tout à l’heure de sa manière de bâtir : on peut ajouter que l’échafaudage, chez lui, reste, jusqu’à la fin, inséparable du monument ; mais ces défauts-là sont assez sensibles, et nous avons dû insister plutôt sur les mérites intérieurs et plus cachés.

M. Fauriel, après avoir représenté l’état florissant de l’administration et de la civilisation romaine dans le midi de la Gaule au moment de la ruine commençante, se propose d’étudier les vicissitudes diverses et les degrés successifs de cette décadence à travers les invasions réitérées et le déluge croissant des barbares. Les premiers de ces conquérans qui forment établissement dans le pays sont les Visigoths, les moins opiniâtres et les moins écrasans de tous. L’historien qui, si impartial qu’il soit, se range manifestement pour les traditions romaines, et qui tient à honneur de les défendre avec Aétius, avec Majorien, avec les derniers des Romains, se montre moins défavorable aux Visigoths qu’il ne le sera aux autres races germaniques survenantes ; c’est que cette barbarie visigothe se montre elle-même aussi peu tenace que possible et aussi vite transformable qu’on peut le désirer. Déjà, sur la fin du Ve siècle, vers le temps de la mort d’Euric, si d’autres invasions n’étaient point venues compliquer le mal, celle des Visigoths avait perdu toute son énergie destructive ; la race gallo-romaine reprenait le dessus et opérait la fusion sur tous les points ; l’ancienne civilisation, malgré les atteintes et les altérations subies, était à la veille de refleurir et de triompher. Mais ces vagues signes précurseurs d’une saison plus douce disparurent bientôt devant une seconde et plus rigoureuse invasion ; les restes de la civilisation romaine, au moment de se refaire, se virent aux prises avec une nouvelle barbarie bien plus énergique et plus tenace que la précédente on eut Clovis et les Francs.

Plusieurs historiens modernes ont attribué quelques avantages à ces invasions des races franchement barbares à travers les races latines corrompues ; ils en ont déduit des théories de renouvellement et comme de rajeunissement social moyennant cette espèce de brusque infusion d’un sang vierge dans un corps usé. M. Fauriel, malgré les fréquentes discussions qu’il soutint à ce sujet avec ses amis, ne se laissa jamais entamer à leurs théories plus ou moins spécieuses ; il était et demeura foncièrement anti-germanique, en ce sens qu’il