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eux l’existence d’une tradition antédiluvienne. Tout récemment, M. Persigny, dans un mémoire détaillé présenté à l’Académie des sciences, a cherché à démontrer que les pyramides d’Égypte, bien loin d’être d’inutiles tombes, formaient de véritables barrages destinés à protéger la vallée du Nil contre l’envahissement des sables du désert ; que pour atteindre ce but, les notions scientifiques les plus précises avaient présidé au choix de leur emplacement, réglé leur distribution, dirigé leur orientation. Ainsi ces montagnes artificielles, regardées jusqu’à ce jour comme propres seulement à perpétuer le souvenir d’un orgueil insensé, seraient en réalité le magnifique témoignage des secours que dès cette époque l’homme trouvait dans la science, et le plus ancien peut-être comme le plus gigantesque des monumens élevés par l’industrie pour combattre et dompter la nature.

L’Europe, en recevant l’initiation, lui conserva quelque temps ses rites et ses emblèmes ; mais bientôt le temple d’Éleusis laissa percer au dehors les rayons de sa lumière mystérieuse. Chez les Grecs et surtout chez les Romains, la science se sépara de la religion, et, rejetant ses anciennes entraves, elle devint de plus en plus libre. Les philosophes de la Grèce en furent aussi les savans : ils ont été les premiers vulgarisateurs. Chaque citoyen put s’instruire à leur enseignement public. Cependant ils ne se virent jamais entourés que d’un nombre restreint de disciples. Les pensées sérieuses et précises de la science s’accordaient mal avec le génie de ces peuples, où tout ce qui relevait de l’imagination et des arts était populaire. A Rome, les préoccupations guerrières et les dissensions civiles opposèrent de plus grands obstacles encore à l’éducation scientifique de la nation, et quelques hommes isolés cultivèrent seuls cette portion de l’héritage que leur avait légué la Grèce conquise.

Pendant la longue période de luttes de tous genres qui suivit la chute de l’empire romain, pendant l’époque féodale qui lui succéda et enfanta la civilisation moderne, la science dut disparaître devant la hache des barbares et la lance des hauts barons. Elle chercha un refuge dans les cloîtres, dans le laboratoire des alchimistes et l’observatoire des astrologues. Comme pour se créer un monde à part, au milieu de cette société que se disputaient la barbarie et la guerre, elle s’entoura de rites sacrés, se créa une langue symbolique. Ces formes mystérieuses s’opposèrent à la fois à ses progrès réels et à sa diffusion dans la masse des populations. Elle devint pour le vulgaire quelque chose d’étrange, et ses adeptes, toujours redoutés, furent tour à tour d’exécrables sorciers ou de bienfaisans enchanteurs.

Plus tard, lorsque, au beau jour de la renaissance, l’Europe eut recueilli pieusement ce qui restait des trésors intellectuels légués par les siècles passés, lorsqu’une instruction générale eut répandu ses lumières au moins dans la classe élevée des nations, la science resta pourtant considérée comme ne pouvant être le partage que de quelques êtres privilégiés. Les savans, bien que dépouillés du prestige surnaturel dont les entourait l’antique superstition, n’en furent pas moins, pour le plus grand nombre, des hommes à part