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humecte sans cesse l’air que nous respirons, le brouillard et le nuage qui nous dérobent l’aspect des cieux, l’eau qui remplit nos lacs, nos ruisseaux ou nos fleuves, la glace qui transforme leur surface en un plancher solide et ouvre parfois aux plus lourds chariots le chemin qu’elle ferme aux navires, sont une seule et même chose. Un peu plus, un peu moins de chaleur, et nous avons un gaz qui échappe à nos sens ou une roche assez résistante pour qu’un caprice de reine ait pu la tailler en palais et la forer en pièces d’artillerie. Les propriétés chimiques des corps sont-elles au même degré sous la dépendance de cet agent que les physiciens désignent par le nom de caloriquue ? Les faits existans dans la science prouvent qu’en élevant la température, on modifie les affinités de certains corps. Un froid intense produirait-il le même effet ? Telle est la question que M. Schroetter de Vienne a cherché à résoudre par de curieuses expériences.

On sait qu’un Français, M. Tillorier, est parvenu à liquéfier et à solidifier le gaz acide carbonique. Cette glace d’un nouveau genre, mêlée avec de l’éther, produit un froid tel que le thermomètre descend à 90 degrés au-dessous de zéro. M. Schroetter annonçait qu’à cette température plusieurs des réactions chimiques qui se produisent instantanément dans les conditions ordinaires cessaient de se manifester. Il assurait, entres autres, que le chlore liquéfié par ce froid excessif ne se combinait plus avec le phosphore. Ce fait était trop curieux pour ne pas appeler toute l’attention des chimistes, et M. Dumas s’est empressé de le vérifier. Le résultat n’a pas confirmé les assertions du chimiste allemand. Le phosphore introduit dans le chlore liquide s’est enflammé en produisant une explosion violente. L’appareil a été brisé, et les fragmens de phosphore, projetés en tout sens, sont allés mettre le feu à la croisée du laboratoire. Grace aux précautions prises d’avance, on n’a pas eu d’accident à déplorer. Ici l’opérateur pouvait être brûlé de deux manières par le phosphore enflammé et par le liquide glacé dont il cherchait à reconnaître les propriétés, car les corps amenés à ces températures extrêmement basses désorganisent les tissus vivans avec la même rapidité qu’un fer rouge.

Ainsi l’affinité réciproque du phosphore et du chlore persistait malgré ce froid de 90 degrés au-dessous de zéro. Il n’en est pas de même de l’antimoine. A la température ordinaire, il suffit de jeter ce métal réduit en poudre fine dans un vase renfermant du chlore gazeux pour que la combinaison de ces deux corps s’opère avec dégagement de lumière et de chaleur. Eh bien plaçons-les ensemble dans le bain réfrigérant d’éther et d’acide carbonique solide, nous ne verrons se manifester aucune action. Bien plus, nous pourrons distiller ce mélange en élevant légèrement la température sans pour cela déterminer la moindre réaction chimique. On voit que les résultats si différeras fournis dans des circonstances semblables par le phosphore et l’antimoine ouvrent un champ nouveau à d’importantes recherches. Aussi l’Académie n’a-t-elle pas hésité à charger expressément M. Dumas de poursuivre ces expériences, et ce choix est un sûr garant que cette curieuse question sera traitée avec tout le soin qu’elle mérite.