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Toujours vive et toujours fleurie ;
Elle a, je vous jure, un génie
Digne d’Horace et de Newton,
Et n’en passe pas moins sa vie
Avec le monde qui l’ennuie
Et des banquiers de pharaon.

Dans l’épître à Uranie, la muse de Voltaire rencontre quelques accens de véritable passion :

Je vous adore, ô ma chère Uranie !
Pourquoi si tard m’avez-vous enflammé ?
Qu’ai-je donc fait des beaux jours de ma vie ?
Ils sont perdus : je n’avais point aimé.
J’avais cherché dans l’erreur du bel âge
Ce dieu d’amour, ce dieu de mes désirs ;
Je n’en trouvai qu’une trompeuse image,
Je n’embrassai que l’ombre des plaisirs.

Mme du Châtelet avait pour amie la duchesse de Saint-Pierre, et parfois elles allaient ensemble surprendre le poète dans le modeste appartement qu’il occupait alors vis-à-vis de Saint-Gervais. Le duc de Forcalquier, amant de la duchesse de Saint-Pierre, accompagnait les deux jeunes femmes. On enlevait Voltaire à son travail, et on lui demandait à souper.

C’était l’amour du temps, intrigue à demi cachée, galanterie frivole mêlée de petits vers et de bonne chère ; mais dans Mme du Châtelet et dans Voltaire, l’amour devait avoir un côté plus sérieux : le goût réciproque de l’étude fortifiait en eux le sentiment. La vie de Paris les fatigua bientôt ; dès le commencement de 1734, ils se retirèrent ensemble à Monjeu, près d’Autun ; c’est là que Mme du Châtelet commence à lire Locke et à traduire Newton. Elle prend des leçons de Maupertuis, à qui elle écrit[1] : « Ce n’est pas pour moi que je veux devenir géomètre, c’est par amour-propre pour vous. Je sens qu’il n’est pas permis à quelqu’un qui vous a pour maître de faire des progrès si médiocres, et je ne puis vous dire à quel point j’en suis honteuse. » Plus loin, « je sens, dit-elle, combien je perdrais si je ne

  1. Les originaux des lettres de Mme du Châtelet à Maupertuis sont au dépôt des manuscrits de la Bibliothèque du roi. Une édition de ces lettres avait été faite ; mais elle est devenue si rare, que nous n’avons pu en découvrir qu’un seul exemplaire : il appartient à M. Beuchot, qui a bien voulu nous le communiquer.