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peu trop tendres et significatifs. Les d’Argental seuls étaient dans la confidence.

Mais tandis que ce beau château abritait cette double vie studieuse et tendre, Voltaire, menacé d’être arrêté par suite de la publication de ses Lettres philosophiques, fut obligé de quitter tout à coup Cirey. Il s’enfuit en Hollande au milieu de l’hiver. Écoutons Mme du Châtelet confier sa douleur et son inquiétude à son ami le comte d’Argental ; ici l’amour se montrera tel qu’il est d’ordinaire dans le cœur de la femme, sans autre préoccupation que celle de l’objet aimé. Dans cette correspondance, qui se continue jusqu’en 1748, et que nous prendrons souvent plaisir à citer, l’ame de Mme du Châtelet se fait voir tout entière, ardente, dévouée, délicate, s’oubliant elle-même pour s’occuper constamment de Voltaire, de sa gloire, de ses intérêts, lui sacrifiant avec joie son temps, son esprit et sa fortune, jusqu’à ce que, le cœur froissé par ce brillant égoïsme, elle essaie de retrouver l’amour, qu’il ne peut plus lui inspirer, dans un autre cœur plus jeune, tentative orageuse et vaine dont elle mourut.

Mme du Châtelet, inconsolable du départ de Voltaire, qu’elle aime alors avec toute la vivacité des premiers temps de l’amour, écrit au comte d’Argental, en décembre 1734 :


« Ange tutélaire de deux malheureux, j’ai enfin reçu de la frontière des nouvelles de votre ami ; il y est arrivé sans accident et en bonne santé. Sa malheureuse santé soutient toujours mieux les voyages qu’on n’oserait l’espérer, parce qu’en voyage il travaille moins. Cependant, quand je regarde la terre couverte de neige, ce temps sombre et épais, quand je songe dans quel climat il va et l’excessive délicatesse dont il est sur le froid, je suis prête à mourir de douleur. Je supporterais son absence, si je pouvais me rassurer sur sa santé

« Je ne veux point absolument qu’il aille en Prusse, et je vous le demande à genoux ; il serait perdu dans ce pays-là. Il se passerait des mois entiers avant que je pusse avoir de ses nouvelles ; je serais morte d’inquiétude avant qu’il revînt : le climat est horriblement froid Le prince royal n’est pas roi : quand il le sera, nous irons le voir tous deux ; mais, jusqu’à ce qu’il le soit, il n’y a nulle sûreté : son père ne connaît d’autre mérite que d’avoir six pieds de haut. Il est soupçonneux et cruel, il persécute son fils, il le tient sous un joug de fer ; il croirait que M. de Voltaire lui donnerait des conseils dangereux ; il est capable de le faire arrêter dans sa cour ou de le livrer au garde des sceaux. En un mot, point de Prusse ; je vous en supplie, ne lui en parlez plus. »


Le 30 décembre de la même année, elle exprime au comte d’Argental de nouvelles et plus vives inquiétudes, elle craint qu’on ne la