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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

Une autre raison, qui n’est pas la moins importante, c’est que, d’après le récit que fait Diodore de la prise de Ninive par Arbace et Bélésis, les machines de guerre étaient inconnues alors, et qu’il fallut, pour ouvrir une brèche aux remparts, que le Tigre vînt par une crue extraordinaire seconder les efforts désespérés des rebelles qui, depuis deux années déjà, assiégeaient cette capitale. Or, les béliers jouent un grand rôle dans les assauts figurés sur les marbres de Khorsabad.

Aux raisons que je viens de citer et qui ne permettent pas d’attribuer ces bas-reliefs à la première époque de Ninive, j’en puis joindre une troisième : c’est l’analogie frappante qu’on remarque entre ces sculptures et celles de Persépolis, le rapprochement que l’on peut établir entre les scènes représentées dans les deux villes ainsi qu’entre les détails des costumes et de la toilette des Assyriens et des Perses. Persépolis ne date que du Ve ou VIe siècle au plus avant Jésus-Christ. La première dynastie des rois d’Assyrie remonte au VIIIe et au-delà ; la seconde va jusqu’au VIIe. S’il y a eu à Ninive deux époques florissantes, il est probable que les Mèdes ou les Perses, qui, après eux, ont imité les Assyriens, ont conservé, sous la forme matérielle des usages privés ou sous les symboles mystiques de la religion, les souvenirs de la civilisation qui était la plus rapprochée de leur temps : ils ont donc dû faire leurs emprunts à la Ninive de Salmanazar et de Sennacherib. L’ancienne Ninive, d’ailleurs, ébranlée fortement par l’assaut que lui donnèrent Arbace et Bélésis, a dû disparaître en partie et faire place à une nouvelle ville sortie des cendres de la première. Mise en contact par la guerre avec la Syrie, la Phénicie et la Judée, cette Ninive rajeunie a vu se développer sa civilisation sous cette influence belliqueuse, sans laisser altérer le caractère particulier de l’art assyrien.

En parcourant la plaine immense qui s’étend de Mossoul ou Neïnivèh jusqu’à Khorsabad (distance qui suppose quatre heures de marche), on rencontre, comme je l’ai déjà fait observer, de nombreuses traces de construction et une quantité considérable de tumuli hérissés de fragmens de pierres et de briques. Évidemment, des habitations, une ville, ont occupé ce vaste territoire, à une seule époque ou à deux époques différentes. Personne ne peut dire si, à l’une ou à l’autre de ces époques, Ninive a compris tout cet espace ; mais on peut le présumer, parce que, en Orient, dans ces temps reculés, il n’y avait pas plus qu’aujourd’hui entre la superficie des villes et leur population la proportion qui existe en Europe. En Asie, les maisons n’ont pas d’étages supérieurs ; chaque famille a la sienne ; les habitans ne sont pas agglomérés comme dans nos pays, et une popu-