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n’est pas que dans cette position désintéressée, pour ainsi dire, et en dehors de la lutte publique, les évènemens n’aient eu en lui aucun retentissement : ils ont puissamment agi sur sa jeune ame ; ils lui ont montré son pays morcelé, déchiré, livré à toutes les ambitions, passant d’une servitude à l’autre et possédant malgré tout d’indestructibles élémens de vie, et ainsi, par cette éducation lente, silencieuse d’abord, qui fait la virilité de l’esprit en le provoquant à la méditation, ils accoutumaient cette pensée toute préoccupée d’art à rattacher les choses littéraires au développement de la société, ils faisaient naître dans son cœur un amour élevé pour l’indépendance italienne, un sentiment de patriotisme généreux et ferme qui depuis est devenu en quelque sorte le fondement de ses croyances littéraires. C’est en considérant ce premier germe qu’on peut mieux juger comment, par une loi logique, l’auteur a pu écrire plus tard Jean de Procida et Arnaldo da Brescia, après les compositions de ses jeunes années où ne se révèle aucun autre soin que celui de la forme et de la perfection poétique.

Le premier essai de Niccolini date de 1804 : c’est le poème de la Pitié, écrit en tercets comme la divine Comédie, ou plutôt en vue d’un modèle plus rapproché, de la Bassvilliana. Écoutant la pitié qui enseigne la plainte aux mortels, le poète a réuni deux fléaux qui désolèrent alors Livourne, une fièvre contagieuse et une inondation, et, par une heureuse fiction, c’est la tempête qui absorbe les miasmes corrupteurs de la fièvre. Au milieu des hésitations de la jeunesse et de quelques beautés de convention, il y a déjà dans ces vers une pure élévation, et les sombres ravages des deux fléaux y sont peints en traits vigoureux. Mais c’est en 1810 seulement que Polyxène fit voir en Niccolini un poète dramatique qui, du premier coup, atteignait aux plus sérieuses qualités de pensée et de style. L’auteur avait choisi la douce héroïne d’Euripide, la fille de Priam et d’Hécube, immolée, après la ruine de Troie, sur le tombeau d’Achille. Ici cependant la vérité des faits est modifiée : de même que parmi les captives troyennes Cassandre est échue à Agamemnon, Polyxène est tombée en partage, à Pyrrhus, au fils d’Achille, qui est touché de sa grace et de sa douleur et qui l’aime. Elle-même n’est point éloignée de l’aimer à son tour ; mais cet amour est retenu par un cruel remords, tempéré par le respect du devoir, et ce n’est pas seulement de la froide dignité tragique : cette prisonnière, en effet, que Pyrrhus supplie, cette victime qu’il dispute à la mort, n’a-t-elle pas été promise à l’ombre paternelle ? D’un autre côté, cet homme pour qui Polyxène sent son