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des modifications introduites par la civilisation chrétienne, le génie méridional se retrouve encore, pour ainsi dire, en face de lui-même. En serait-il ainsi d’un génie bien différent, du génie du Nord placé en présence de ces merveilleux souvenirs de l’antiquité ? C’est une erreur de croire que le sentiment critique, si fort développé dans notre temps, nous rend propres à renouveler même les beautés qui nous sont le plus étrangères ; nous pouvons les juger, les apprécier plus sainement en critiques ; difficilement un poète parviendrait à saisir assez bien leur essence pour qu’on ne pût voir dans son travail la trace d’une inspiration factice, laborieuse et souvent mélangée d’élémens contraires. Goethe l’a tenté dans Iphigénie ; mais l’auteur d’Hermann et Dorothée et de Faust, qui était le poète le mieux doué pour une telle œuvre, a-t-il pleinement réussi ? Est-il vrai que la jeune fille grecque, même dans son exil de la Tauride, ait dû nourrir son ame de ces songes stériles dont parle Goethe, et les paît savamment décrire comme ferait quelque fils rêveur de la Germanie ? La vierge antique se serait-elle écriée : « Ah ! l’état des femmes est bien digne de pitié ! dans l’intérieur, à la guerre, l’homme commande… ; c’est lui qui a le plaisir de la possession ; — c’est lui que couronne la Victoire ; c’est à lui qu’une mort pleine d’honneur est réservée ? Que le bonheur de la femme est peu de chose ! obéir à un époux farouche est pour elle un devoir… » - Et ailleurs : « L’homme a-t-il donc le privilège des actions extraordinaires ? a-t-il seul un cœur héroïque et sublime qui embrasse l’impossible ? Ne nous reste-t-il rien à nous ? » Iphigénie est bien autre dans Euripide ; ses rêves n’ont pas cette indomptable ambition ; elle n’embrasse pas l’impossible ; le sort de la femme ne lui apparaît pas sous le même aspect. « Habitante de ces rivages barbares, dit-elle, je suis dans un séjour odieux, sans hymen, sans enfans, sans patrie, sans amis. Mon occupation n’est plus de chanter Junon déesse d’Argos, ni de retracer sur les riches tapis, avec l’art de Minerve, les titans qu’elle dompte… » Ainsi l'Iphigénie de Goethe diffère de celle d’Euripide. C’est encore, si l’on veut, un admirable effort de ce puissant esprit ; c’est une belle statue antique, mais transportée en quelque sorte sous les brumes du Nord qui enveloppent et glacent sa pure nudité, atténuent le relief de ses formes et effacent peu à peu sa beauté native. – Dans Polixene, Niccolini a ressaisi sans peine les traits du génie grec. Ses vers ont la même grace décente et parfois aussi la même forte simplicité. A quoi faut-il attribuer en partie ce résultat, si ce n’est à une intime parenté dont nous parlions, qui unit l’Italie à la Grèce ?