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autrement jugé. En mettant fin à la vie militaire où l’Europe se trouvait engagée, à ces vastes prises d’armes pour lesquelles il n’y avait plus de bras, ce grand changement détermina le retour des esprits vers les studieuses recherches, vers les discussions intellectuelles. De là naquit le mouvement philosophique et littéraire de la restauration en France, qui alla hardiment, à travers l’empire, renouer la tradition de la révolution ancienne, pour aboutir à une révolution nouvelle. L’Italie entrait aussi dans la même voie ; mais la sphère littéraire lui était seule ouverte. Quelques années s’étaient à peine écoulées, et déjà d’énergiques poètes se produisaient avec éclat, — Manzoni, Berchet, Silvio Pellico, Grossi. Ils levaient le drapeau de la révolte en face des doctrines anciennes : Manzoni tentait la réforme du drame, Berchet donnait de beaux exemples de poésie lyrique, Grossi travaillait à créer le poème historique par les Lombards à la première croisade ; leurs brillans essais suscitèrent des polémiques semblables à celles qu’on a pu voir en France, polémiques pleines de passion et d’acrimonie, et qui n’ont pas empêché la poésie moderne, dans tous les pays, d’arriver à ses hautes fins, parce que le but des novateurs était de lui rendre la vérité, de peindre avec plus d’exactitude et plus d’élévation en même temps les faits de l’histoire qui peuvent revêtir la forme tragique, d’exprimer plus fidèlement ces inquiétudes, ces angoisses, ces libres élans, ces joies sereines de l’amour, ces mortelles tristesses du désespoir, qui se modifient sans cesse et font de la vie du cœur un poème si vieux et si nouveau, si simple et si étrange, si douloureux et si consolant. Et puis ils avaient pour eux la jeunesse, l’inspiration, l’enthousiasme, qui se reflétaient dans leurs ouvrages ; ils marchaient en avant, ils produisaient, tandis que leurs adversaires se bornaient à la critique, à la raillerie, à un blâme stérile, au nom de théories surannées.

Rien ne donne mieux une idée d’un tel mouvement littéraire que les publications périodiques. Il n’est pas besoin de rappeler celles qui se signalèrent en France et donnèrent une si vive, une si haute impulsion aux esprits. L’Italie eut divers journaux qui servaient d’organes aux deux partis. Champions des anciennes doctrines, la Bibliothèque de Milan, l’Arcadico de Rome, servaient moins encore la cause littéraire que les desseins des gouvernemens blessés de l’audace des idées nouvelles. Le Conciliateur avait réuni à Milan les plus jeunes, les plus fiers novateurs ; c’était comme l’avant-garde de la révolution poétique. L’histoire en a été déjà retracée ; le Journal Bleu, comme on le nommait, fut bientôt frappé ; au moment où les insurrections