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la simplicité de l’action elle-même que du respect outré de l’auteur pour des préceptes abrogés. C’est un grave et sombre tableau de cette politique occulte et étouffante de Venise qui dit par la bouche de Lorédan : « Qu’arrive-t-il si tout est livré à un téméraire examen ? D’abord on pense, puis on hait, puis on conspire ! » Et encore : « L’homme qu’on redoute est toujours coupable, et, fût-il innocent, il faut le punir si on l’a offensé, car il deviendra coupable par vengeance ! » Antonio Foscarini, bien qu’il descende d’aïeux illustres, bien qu’il soit le fils du doge, est la victime choisie par ce haineux pouvoir, toujours mis au service des colères personnelles. Revenant de la Suisse, où il a été envoyé, Foscarini, la poitrine pleine encore de cet air salubre qu’il a respiré dans les libres montagnes helvétiques, revoit sa patrie contristée par la tyrannie des dix ; il retrouve aussi une jeune fille, qu’il aime et dont il est aimé, devenue l’épouse de Contarini, l’un des trois inquisiteurs d’état et son plus cruel ennemi. Ainsi l’homme et le citoyen tout ensemble sont profondément blessés. Foscarini cependant veut revoir encore Teresa, et il va répéter près de sa maison le chant plaintif de leurs jeunes amours. La jeune femme, qui n’a cédé qu’à la force et au malheur en épousant l’inquisiteur d’état, s’attendrit. Au moment où Antonio et Teresa sont réunis mêlant leurs douleurs irréparables, les souvenirs de leur affection sans espérance, ils sont surpris tout à coup par Contarini, et Foscarini, pour sauver la renommée de son innocente complice, n’a d’autre moyen que de se réfugier aussitôt dans le palais de l’ambassadeur espagnol. Or, depuis la conjuration de Bedmar, la loi punit de mort, comme conspirateur, tout sujet vénitien qui met le pied dans le palais d’un ambassadeur étranger. Foscarini est donc traité comme un criminel d’état ; il va être jugé par Contarini, qui a découvert la vérité. Ce qui répand un noble intérêt sur le jeune patricien, c’est la fierté qu’il met à avouer tout haut des pensées de liberté qui sont un crime aux yeux du tribunal secret, tout en niant qu’il ait eu le dessein de conspirer contre Venise ; c’est son généreux empressement à cacher le motif réel pour lequel il a été trouvé en rébellion contre la loi, préférant ainsi la mort au déshonneur de Teresa. Contarini se venge en inquisiteur et en époux irrité en le condamnant. Son père lui-même, le doge Alvise Foscarini, devant son silence, est forcé de le condamner. Vainement le peuple commence à gronder au dehors ; quelques sbires suffisent à le disperser et à étouffer sa voix, qui n’est plus menaçante ; vainement Teresa, devinant le danger de son amant, accourt pour s’avouer aussi coupable et éclairer ce sombre mystère ; par les soins de Contarini,