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confondent en se touchant. » C’est ainsi que se décèle accidentellement, pour ainsi dire, le talent lyrique de Niccolini, bien mieux que dans ses Poésies diverses. Parmi celles-ci, deux morceaux seulement, une courte élégie sur la Vieillesse et une touchante Plainte, portent un vrai caractère lyrique. Une grave tristesse est empreinte dans cette ode de la Plainte, adressée à une femme, et lui donne une valeur particulière.

« Vous pleurez !… Vainement vous cherchez à retenir et à cacher vos larmes. Quel fantôme est passé devant votre ame ? Est-ce un souvenir ou une crainte ?
« Hélas ! comme s’il ne souffrait pas assez du malheur actuel, l’homme, emporté dans l’immensité du temps, — regarde toujours, plein de terreur ou de regret, en avant ou en arrière du point indivisible qui partage l’infini !…
« Était-ce en voyant s’enfuir les jours rapides de la jeunesse et les plus douces illusions du songe de la vie ?…
… « Vous étiez-vous fiée, dans votre crédulité, aux promesses d’un long amour ? Si vous avez cueilli cette fleur, elle naît, puis bientôt languit, et meurt.
« Pleurez, et que celui qui vous a trompée soit vaincu par l’enchantement de votre regard !… - Mais il n’est pas donné aux gémissemens d’avoir une fin dans cet exil, ni aux larmes de tarir dans notre paupière.
« Maintenant que, mère vigilante, vous veillez auprès de votre enfant, qu’il apprenne de vous la première langue de l’homme, — la plainte !…
… « Il se plaint, celui qui regrette, celui qui souffre ; il se plaint, celui qui sert comme celui qui commande. Nous sommes tous condamnés : les larmes sont la meilleure prière.
« Vous savez les douces et tendres paroles qu’enseigne l’amour ; mais l’homme seul se laisse aller aux chants de la douleur.
« Moi aussi, j’ai voulu exprimer ces tristes accens ; j’essayai, nouveau Pygmalion, d’animer ma statue ; — je l’étreins encore, et je tremble… elle ne sent rien, et le marbre cruel retombe sur moi froid comme la pierre de la tombe.
… « Un souci grave et assidu poursuit mes jours, et le malheur m’assiége de toutes parts.
« Déjà, comme une image rapide qui se reflète sur le mur, je disparais de la mobile scène de l’univers.
« Je rêvai de la gloire, je me crus de la race de l’aigle, et me voilà gisant près du rocher d’où j’essayai de prendre mon vol.
« Mais avant que la mort étende son voile éternel sur mes yeux, qù i ! s brillent encore de ces larmes à qui le ciel fut promis !… »