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des populations intelligentes et rapaces, qui, parmi les vices des barbares, ont surtout adopté le manque de foi. C’étaient elles que travaillaient obstinément les Russes d’une part, les Anglais de l’autre ; nous ne reviendrons pas sur cette situation souvent décrite. Les rapports amicaux des cabinets de Saint-Pétersbourg et de Londres n’en étaient point troublés ; avec une politesse infinie, on suscitait des ennemis à l’adversaire, on lui enlevait ses alliés, on déconcertait ses projets. On se tuait par envoyés et l’on s’embrassait par protocoles.

À cette partie d’échecs il fallait des instrumens secondaires, des pions, si l’on nous passe le terme. Exposés aux chances des avant-postes, ils s’en allaient en sentinelles perdues accomplir les desseins des deux cabinets, et tenter la fortune. Les agens russes se cachaient mieux, se glissaient avec plus d’adresse, et ne montraient pas moins de dévouement que les agens anglais. Chez les autres, plus d’orgueil, de persévérante énergie, et de savantes ressources embarrassaient des trames qui demandent moins d’audace et de savoir que de ruse et de patience. Les rangs de l’armée indo-britannique offrent une pépinière presque intarissable de ces capacités dévouées ; on les recrute encore parmi les missionnaires protestans, les employés de la compagnie des Indes, les juges, les civilians, les marchands, et même les hommes de science.

Auprès de sir John Mac-Neil, ambassadeur à la cour de Perse, se trouvait un officier, déjà employé dans quelques affaires diplomatiques. Il se nommait le colonel Charles Stoddart. Chargé d’accompagner le schah de Perse à ce siége de Hérat qui contrariait si fort les Anglais, et menaçait d’implanter la puissance persane-moscovite dans cette partie de l’Asie, il s’était conduit avec fermeté et loyauté ; chargé ensuite de réclamer impérativement la levée du siège, il l’obtint, et fut désigné à son gouvernement comme digne d’éloge et de récompenses. Les qualités dont il avait fait preuve, zèle, vigueur, intrépidité, se mêlaient à d’autres nuances de caractère, qui le rendaient assez peu propre à réussir dans une mission plus délicate, que sir John Mac-Neil lui confia en juin 1838.

Entre l’Afghanistan et la Russie, à l’est de la mer Caspienne, se trouvent de petits empires rivaux, souvent en guerre, où règne un mahométisme fanatique, et dont les habitans enlèvent partout des esclaves pour en trafiquer. Ces états, Ouzbecks ou Ushecks, de Khiva, du Kokan et de Bokhara[1], long-temps inconnus de I’Europe,

  1. Al. Burnes, Travels to Bokhara.