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nous ont été révélés par le spirituel et hardi voyageur Alexandre Burnes, mort en 1841 sous les balles des Afghans. Burnes s’était tiré des mains de ces peuplades à force d’adresse. On sait que le brigandage est en honneur chez les Ouzbecks, et que plusieurs tribus regardent comme honteux de mourir dans son lit, au lieu de périr dans un tchapao ou « expédition de pillage. » Les vices des régions voisines, la finesse outrée des Persans, le vol organisé des Chinois, la perfidie des Thibétains, la cruauté des Tatars, paraissent s’être donné rendez-vous sur cette terre mitoyenne, d’ailleurs livrée à une éducation théologique tout en pratiques, en arguties et en formules religieuses. Le centre de cette civilisation singulière se trouve à Bokhara, ville sacrée dont les deux principaux caractères semblent être le commerce et le fanatisme. Placée, comme Genève, entre des populations de croyances différentes, elle est puritaine jusqu’à la dernière rigidité et fait un assez grand négoce. On comprend que ces empires fussent pour la compagnie des Indes un sujet perpétuel d’inquiétude ; leurs incursions et leurs pillages, qui approvisionnaient d’esclaves leurs marchés, les constituant en hostilité permanente avec les royaumes limitrophes ; présentaient à la Russie ou à la Perse un motif légitime de conquête.

Le gouvernement anglais envoya donc le capitaine Conolly auprès du khan ou roi de Kokan, le capitaine Abbott et sir Richmond Shakspeare auprès du khan de Khiva, le colonel Stoddart auprès du khan de Bokhara, non-seulement pour réclamer la suppression du commerce des esclaves, mais pour observer les ressources et les intentions de ces chefs et de ces peuplades, les préparer à l’alliance anglaise et contrebalancer l’influence russe. Houzourout, khan de Khiva, reçut favorablement les envoyés, leur promit ce qu’ils voulurent, et se débarrassa le plus tôt possible de leur présence, qui le gênait. Le khan ou roi de Kokan fit de même. L’un et l’autre s’engagèrent à cesser leurs déprédations, si le khan de Bokhara, plus puissant qu’eux, se prêtait aux intentions des Anglais. C’était consentir à tout et ne rien terminer ; les diplomates européens ne paraissent pas s’en être aperçus.

Le roi ou émir de Bokhara, Nassr-Oullah-Bahadour Khan-Melik-el-Moumenin, un des hommes les plus barbares de ces contrées, est parvenu au trône par une série de crimes atroces même pour un souverain oriental. Le voisinage et la présence des Européens, Russes ou Anglais, l’épouvantait, non sans raison. C’est un monstre, mais sa terreur jalouse était fondée. Averti qu’un envoyé anglais allait pénétrer jusqu’à lui, il résolut de le frapper de stupeur, et de lui donner la