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rassuré à la fois ; on se donne une entière licence avec une sorte de sécurité ; car, notons-le bien, c’est encore un novice qui badine, et non un page ; le Chérubin dont l’enjouement a dicté ces gaietés d’un jour ne sera jamais l’amant de sa marraine ; que dis-je ? en vieillissant il deviendra presque un marguillier.

Gresset, n’en déplaise à l’enthousiasme trop continu de son panégyriste, n’a fait dans sa vie que deux choses qui se puissent relire avec un vrai plaisir et qui s’attacheront toujours à son nom : il a fait VerVert à son moment le plus vif, et le Méchant à son moment le plus mûr. Dans tout ce qu’il a écrit dans l’intervalle et depuis, il n’a su que répéter, affaiblir, délayer la manière ou les idées de ces deux excellens ouvrages, les seuls de lui qui méritent de rester. Le plus léger des deux, Ver-Vert, est peut-être celui qui, à cette distance, a le moins perdu dans son ensemble : il se retrouve d’un bout à l’autre agréable et charmant.

Il y a des esprits et des talens qui n’ont que de la jeunesse, et encore de la première jeunesse : Gresset en eut de bonne heure le pressentiment. Dans cette Chartreuse si goûtée de nos pères et où quelques bons vers seulement nous arrivent à la nage dans un torrent de rimes, il disait :

Persuadé que l’harmonie
Ne verse ses heureux présens
Que sur le matin de la vie,
Et que sans un peu de folie
On ne rime plus à trente ans…


Dans une pièce adressée à ma Muse, il disait encore, toujours dans ce même sentiment de la brièveté

Moi que le Ciel fit naître moins sensible
A tout éclat qu’à tout bonheur paisible,
Je fuis du nom le dangereux lien ;
Et quelques vers échappés à ma veine,
Nés sans dessein et façonnés sans peine,
Pour l’avenir ne m’engagent à rien.
Plusieurs des fleurs que voit naître Pomone
Au sein fécond des vergers renaissans
Ne doivent point un tribut à l’Automne
Tout leur destin est de plaire au Printemps.


Ce qui manqua à Gresset, ce furent les idées, le renouvellement d’idées. Son fonds d’adolescence et de première entrée dans le monde