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que léger, on saisit au passage quelques vers dignes d’être retenus, mais aucun de ces traits dont le ton chaud gagne en vieillissant. Qu’y faire ? le brillant tout entier a péri, la fleur du pastel est dès long-temps enlevée, et on ne distingue plus rien de la poussière première à ces ailes fanées du papillon.

Je ne prétends pas dire que Gresset n’ait pas eu là d’heureuses années embellies de succès légitimes ; des idées riantes, un certain jeu de vivacité naturelle et de mollesse voluptueuse, quelques éclairs de tendresse, des accens sortis d’un cœur droit, d’une ame honnête et bonne, animaient ces productions de sa veine dans leur fraîcheur presque tout cela, encore un coup, a disparu. Gresset était d’une physionomie douce, fine, et qui devait s’accommoder du sourire. On a dit qu’il était très aimable dans l’intimité, et je le crois volontiers ; mais, d’après les échantillons même qu’on donne de sa conversation et des ingrédiens qu’il y faisait entrer, j’y trouve tout un train de bons mots, anecdotes et historiettes, accusant ce tour d’esprit un peu futile dont le XVIIIe siècle ne se payait qu’en de certains momens. En ce genre-là, je doute que Gresset ait jamais approché de Delille. M. de Cayrol, qui n’entend pas contradiction sur son héros, traite fort mal M. de Feletz, pour avoir osé mettre en doute l’agrément de Gresset en prose ; il me semble qu’au moment où il plaidait pour les agrémens d’un autre, le digne biographe l’aurait pu faire en un style plus persuasif et mieux assorti ; pour moi, en ces matières d’urbanité, je suis accoutumé à reconnaître M. de Feletz comme un excellent juge. Non, Gresset, causeur et conteur, n’était rien moins qu’un Hamilton ; malgré ses succès dans deux ou trois cercles où on l’adopta, j’oserai conclure des récits même de son biographe que, durant ces quinze années qu’il passa dans le monde de Paris, depuis sa sortie de chez les jésuites jusqu’à sa retraite à Amiens (1735-1750), Gresset n’eut jamais pied véritablement en plein milieu du siècle, et qu’il n’y tint jamais un de ces premiers rôles, ne fût-ce que d’amabilité brillante, qu’on a peine ensuite à quitter. Il assista, il observa d’une place commode, et pour lui c’était assez. Quelques mots épars, quelques indices recueillis par M. de Cayrol, semblent indiquer que les jouissances de cœur ne manquèrent pas à Gresset dans ces années mondaines ; mais la discrétion du poète n’a rien laissé percer sur l’objet aimé, et, dans un monde où tout s’affichait, il sut couvrir d’un voile mystérieux le note de sa Glycère. Gresset avait le cœur délicat ; même à son heure la plus brillante et en son midi, il se rejetait le plus qu’il pouvait dans le demi-jour.