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étendre enfin les bienfaits de la nature, achever, perfectionner son œuvre, voilà ce qui reste à faire à l’homme. Tel est ou doit être, même avant toute idée de navigation, le but essentiel de tous les travaux de canalisation qu’il entreprend.

Et d’abord les voies d’eau naturelles, fleuves ou rivières, n’ont pas généralement un cours réglé ni une tenue d’eau constante. Elles débordent souvent en hiver, et désolent leurs rives qu’elles devraient féconder. En été, elles tarissent à demi, ne présentant plus, au lieu de ce lit plein et bien nourri que la terre desséchée réclame, que des sables nus et désolés ou des plages boueuses sur lesquelles se traînent péniblement de maigres flets d’une eau infecte. Il y a donc ici déjà pour l’homme un double travail à faire : d’une part, prévenir les ravages que ces eaux causent dans la saison où elles abondent, en les contenant dans leur lit ; de l’autre, les ménager, les élever, les emmagasiner, pour ainsi dire, dans la saison où elles tarissent, en prévenant leur trop rapide écoulement. Pour remplir convenablement ce double objet, il ne faut guère moins, outre l’endiguement des rivières, que leur canalisation complète.

Ce n’est pas tout. En dehors de l’action des voies d’eau naturelles, et dans les parties du sol qu’elles ne traversent pas, n’existe-t-il donc aucun des inconvéniens, aucun des désordres que nous venons de rappeler ? N’y a-t-il pas des plaines arides qu’elles pourraient féconder ? N’y a-t-il pas ailleurs des eaux stagnantes qu’elles devraient emporter dans leur cours ? Eh bien ! pourquoi des rivières artificielles ne viendraient-elles pas suppléer à l’insuffisance des autres, partout où les circonstances locales l’exigent, partout où la configuration du sol le permet ? S’il est vrai que les cours d’eau naturels soient utiles, les canaux ne le sont pas moins, et aux mêmes titres. Ils le sont peut-être davantage, parce que la direction qu’ils prennent, au lieu d’être déterminée par une puissance aveugle, l’est toujours ou doit l’être avec intelligence et avec choix. Si l’on admet enfin que sans la présence des rivières la terre serait à peine habitable pour l’homme, on peut dire avec toute autorité et toute raison que le prolongement ou la multiplication des rivières par les canaux agrandit le domaine de l’homme en même temps qu’il l’embellit.

Voilà donc et la canalisation des rivières et la construction des canaux proprement dits motivées et justifiées, en dehors de toute idée de navigation, par les seuls besoins de la terre et des hommes. Que maintenant la navigation profite de ces travaux exécutés à d’autres fins, n’est-il pas vrai que les services qu’elle en retire sont en principe