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Lord Brougham a du style, de l’éloquence, de la sagacité, et conserve dans sa verte vieillesse quelque chose de la ferveur qui attirait sur ses jours de lutte les regards de l’Europe ; le docteur Schlosser possède une vaste érudition, réglée par un jugement calme, habile aux déductions, assez hardi pour se soustraire aux préjugés particuliers ou généraux.

Comment se fait-il donc que le plus faible des trois, un esprit aimable et médiocre, Henri Swinburne et ses confidences, qui n’ont pas été destinées à l’impression et qui se publient d’une façon très incorrecte, aient plus d’attrait pour nous que les théories du docteur, et apportent des clartés plus pures que les pages éloquemment élégantes du ci-devant grand-chancelier, lord Brougham et Vaux ?

Voici, je crois, la raison de ce penchant que j’avoue, je ne veux pas dire de cette supériorité. Nous aimons les faits par le temps qui court, et il y a beaucoup de faits, tels petits qu’ils soient, dans l’ouvrage médiocre de Swinburne. Ils n’y apparaissent pas contournés ou mutilés par les doigts de fer de la théorie, mais se présentent ingénument, comme il a plu à Dieu et à l’histoire de les produire ; nous pouvons juger pour notre compte ; c’est à nous de les classer comme il convient. Nous ne sentons plus la main rigide d’un théoricien qui nous enferme dans les cellules de son système préconçu, comme on enfermerait des coupables dans les subdivisions de la maison de pénitent. Enfin, Swinburne est naïf ; Schlosser est systématique. Quant aux pages heureuses et puissantes de lord Brougham, ce ne sont pas celles où il expose son opinion sur Hume, Voltaire et Robertson ; on l’aime surtout quand, ressuscitant ses souvenirs personnels en dehors de toute appréciation contestable, il évoque les scènes de sa jeunesse et la physionomie des hommes qu’il a connus.

Ce sont, au surplus, trois ouvrages dont la lecture intéresse. Quelle inépuisable étude est-ce donc que le XVIIIe siècle ? Pourquoi conserve-t-il ce privilège et cet attrait ? N’a-t-on pas assez écrit sur ces cent années ? D’où vient que le regard et la pensée se reportent sans cesse vers ces aïeux qui vécurent entre 1720 et 1800 ? Ce ne sont pas seulement Montesquieu et Buffon, Franklin et Lavoisier, Pitt et Voltaire, les plus beaux noms, qui nous émeuvent d’une curiosité sympathique, mais les moins importans, les insectes du rayon de soleil, les mites littéraires et les papillons de la mode qui ont vécu deux jours dans ce temps-là ; tous, ils amusent et récréent notre pensée. On aime Walpole, on ne dédaigne ni Dorat ni Carmontelle ; on lirait avec plaisir les mémoires de cet abbé austro-italien qui s’appelait Trapassi, et qui,