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avec une activité devenue fébrile, se comptent par centaines, et tous se rapportent an même but, à la réalisation de ces théories philanthropiques et libérales dont Franklin, Dumont de Genève, Samuel Romilly, ont été les promoteurs, et dont la vieille source se cache dans les idées de Fénelon, Vauban et Saint-Pierre, les institutions genevoises, et les écrits du calviniste Daniel de Foë, auteur de Robinson.

Aujourd’hui que l’emploi violent, peut-être l’abus de ces facultés puissantes, joint au progrès de l’âge et au travail des rivalités, ont condamné lord Brougham à l’inactivité politique, il n’est point surprenant que le XVIIIe siècle, grand réservoir lumineux des théories sociales auxquelles il s’est dévoué, lui apparaisse comme le sujet d’études le plus intéressant et le plus fécond, et qu’il l’aborde, non avec la longanimité érudite du docteur allemand, mais avec cette audace d’attaque qui ne lui a jamais fait faute.

Il a donc pris sa hache d’armes et taillé deux ou trois blocs dans cette matière. D’abord les hommes d’état l’ont attiré, ce qui était naturel, et il les a jugés d’après ses souvenirs, un peu ses partialités de whig et d’Écossais, quelquefois d’après son humeur. Ensuite il s’est occupé des gens de lettres et des hommes de science, encore un peu au hasard, mais avec plus de logique qu’on ne l’a dit ; et non content de faire comprendre aux Anglais Voltaire et Rousseau, qu’ils ne comprennent guère, il s’est mis à rédiger en bon français cette double biographie qui vient de paraître chez nous, et qui, si elle n’est pas un chef-d’œuvre, tant s’en faut, une œuvre complète encore moins, est une rare curiosité littéraire[1].

Ainsi que le docteur Schlosser, il croit au progrès des destinées humaines, et accepte le XVIIIe siècle comme un renouvellement et un berceau ; là d’ailleurs s’arrête la ressemblance. Quand les deux personnages se rencontrent, c’est pour s’administrer des coups d’épée. Le docteur allemand, pesamment armé, ne ménage pas son antagoniste, qui lui porte des atteintes plus rapides, plus impétueuses, et sait le défaut de la cuirasse. M. Schlosser appelle lord Brougham un « Anglo-Franco-Genevois ; » ce n’est pas une injure bien grave. Il l’accuse aussi d’écrire « dans l’ivresse, » ce qui nous semble une gentillesse d’érudit un peu trop forte, d’autant mieux que c’est lord Brougham qui a raison.

L’attaque principale a lieu à propos de Junius, auquel le ci-devant chancelier reproche de grandes colères contre de petits hommes,

  1. Voltaire et Rousseau, par lord Brougham ; chez Amyot, rue de la Paix.