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et une dépense disproportionnée d’épigrammes, d’éloquence, de beau style, de formules oratoires et d’invectives amères à propos de l’alderman Sawbridge et du grammairien Horne Tooke. Rien de plus juste. Le docteur répond qu’il s’agissait du salut de l’Angleterre, que Junius l’a sauvée, et que, s’il n’avait pas écrit, elle courait risque d’être asservie ; il nous permettra de n’en rien croire. Lord Brougham répliquerait sans doute avec nous que ces effervescences de la liberté sont inséparables des foyers politiques où elle s’élabore, mais qu’il ne faut pas les estimer plus qu’elles valent. En effet, Junius n’a rien sauvé, l’Angleterre ne lui doit rien ; elle a plus que payé par une gloire de cent années la peine qu’a prise cet inconnu de satisfaire, dans des libelles virulens, ses rancunes et ses haines personnelles. La constitution pouvait se passer de Junius et de ses querelles avec l’alderman Sawbridge sans courir le moindre risque, et les philosophes étrangers devraient concéder à chaque pays le privilège de comprendre mieux que personne ses propres affaires et son histoire. Voilà le danger des esprits spéculatifs : ils comptent pour peu l’expérience ou la comptent pour rien. Ailleurs, le professeur allemand tance vertement l’orateur écossais de sa partialité pour Burke, « ce déclamateur fleuri, » et de son « indulgence pour lord North. » Si Burke n’est pas un homme politique de premier ordre, il a beaucoup de valeur comme écrivain, et l’on n’est pas un ministre méprisable quand on sait résister, comme North, à tant d’influences vives et conjurées. Lord Brougham aurait trop beau jeu s’il voulait prendre sa revanche et quereller le docteur sur la place énorme qu’il a réservée à ses animalcules littéraires de Berlin et de Berne, aux Nicolaï, aux Jacobi, à l’ennuyeux Siegwart et à cet intolérable Agathon de Wieland.

Lord Brougham, tout en ne publiant que des fragmens, a encore un avantage sur M. Schlosser, qui traite le sujet entier. Le choix de ces fragmens biographiques indique une vue très juste de la valeur propre qui caractérise le XVIIIe siècle, valeur scientifique et se dirigeant vers l’amélioration et les découvertes matérielles. M. Schlosser s’occupe à peine de ce côté important de son sujet, qui intéresse vivement lord Brougham. Cavendish, Black, Priestley, Watt, Simson et Davy, tous physiciens ou chimistes, usurpent les trois quarts de son volume et se rangent sur un pied d’égalité près de Voltaire, Rousseau, Robertson et Hume.

Cette place donnée aux sciences physiques ne nous semble pas aussi arbitraire qu’on l’a prétendu. Le siècle commence par l’attraction et finit par le galvanisme. Newton l’inaugure ; Volta le couronne. Il débute