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les maux et non « les maladies que nous avons ; » que le vrai sens du mot ill est général, celui du mot illness particulier au mal physique devenu maladie, et que le mot ailment correspond au mot français souffrance ressentie dans un moment donné. Mais tous ces pédantismes ne doivent pas occuper trois minutes les intelligences sérieuses ; il serait permis d’insister davantage sur le secours que le roi George II voulut bien accorder au jeune Voltaire, et que lord Brougham passe sous silence. C’est un fait assez grave à plusieurs égards, et le docteur Schlosser ne l’a pas oublié, bien qu’il l’ait présenté sous des couleurs mensongères et mêlé de circonstances controuvées.

Brouillé avec toutes les puissances, furieux contre le gouvernement et les dévots, Voltaire arrivait à Londres, on il retrouvait son ami Bolingbroke[1], protection de peu de valeur sous le ministère de Robert Walpole. Sa réputation de malice et d’esprit, mais non de génie, était faite il venait de passer six mois à la Bastille. On savait que le héros protestant de la Henriade y apparaissait entouré d’autres protestans, peints de nobles couleurs, et qu’un esprit général d’opposition régnait dans le poème. Robert Walpole, qui connaissait les rapports du jeune Arouet avec son vieil ennemi Bolingbroke, usa de la situation avec l’habileté rusée qui caractérise toutes les circonstances de sa vie. Le banquier sur lequel Voltaire avait des lettres de crédit vint à manquer, et la situation du voyageur fut embarrassée. Non seulement Walpole jugea qu’il était convenable de se rendre favorable le poète, mais, par le conseil de ce Talleyrand de son époque, passé maître en toutes les finesses de la ruse politique, et que nous avons essayé de peindre au vif[2], George II, qui « aurait donné pour une guinée » toutes les odes de Pindare[3], ouvrit généreusement sa bourse au voyageur, écrivit son nom royal à la tête de la liste des souscripteurs de la Henriade, et commença la fortune du jeune homme. Il était difficile de placer mieux son argent. Non seulement toutes les faiblesses et toutes les lâchetés de l’Angleterre à cette époque furent dissimulées ou passées sous silence par l’homme d’esprit, mais une partie de l’influence et de l’action si énergiques exercées pendant le XVIIIe siècle sur la

  1. En 1723, Bolingbroke reçut le pardon royal, que son ennemi Walpole eut la maligne générosité de lui procurer. En 1726, Voltaire alla à Londres. En 1727 (11 juin), George Ier mourut. En 1723, Walpole était de nouveau tout-puissant, et conseillait à la reine Caroline de faire protéger Voltaire par son mari. Quant à l’intimité de Bolingbroke et de Voltaire, lisez la correspondance de ce dernier.
  2. Voyez l’article déjà cité sur les deux Walpole.
  3. H. Walpole, ten years’ Reminiscences.