Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

population d’environ deux cents personnes s’y est groupée autour de l’héritier de ses rois, et y a formé une espèce de village en suspendant ses toits de chaume aux débris des palais et des pagodes. A environ moitié chemin entre le temple de Viroupacsha et Anegoundi se voient les restes d’un pont qui unissait autrefois les deux grandes régions de la cité. Ce pont traversait la rivière sur un point où elle a un demi-mille de largeur, et où, si l’on excepte quelques pieds d’eau dans un ou deux endroits, on peut la traverser à gué presque en toute saison. Cependant, pour effectuer ce passage sans danger, il faut profiter des rochers et suivre le tracé du pont qui était construit en zigzag sur des pilastres de granit d’une seule pièce, enfoncés comme à coups de marteau dans le lit du Tombouddra. Ces pilastres soutiennent d’autres blocs de granit jetés transversalement d’un chapiteau à l’autre. Quelques-unes de ces colonnes sont inclinées par l’action des eaux depuis cinq siècles, mais la chaîne n’en est point encore interrompue, et l’ensemble de ces débris rappelle les pierres druidiques.

Revenant un soir à notre gîte plus tard que de coutume avec juste assez de lumière pour distinguer, comme nous descendions le cours sinueux du fleuve, les masses sombres et silencieuses de ces pilastres, je ne pus m’empêcher de comparer ce spectacle à celui qu’avaient dû offrir les mêmes lieux au temps des rajas. A l’extrémité du pont la plus rapprochée des temples devait se tenir une foule de brahmines attendant l’arrivée du souverain à la lumière du pacal-divati (le flambeau des cérémonies religieuses), et au son du chihna (la trompette sacrée à double tuyau). Les colonnades et les terrasses sur toutes les éminences, éclairées d’une profusion de lumières de toutes couleurs, retentissaient de la musique guerrière qui ouvrait la marche du raja, tandis que son long cortége se déroulait avec la pompe usitée dans l’Inde antique.

Les chroniques rapportent que, sous le règne de Crishna-Raja, sans compter les mosquées et les chapelles chrétiennes, il y avait dans Vijayanagar au moins trois cents temples principaux dédiés à différentes divinités indoues. Ce qu’il en reste aujourd’hui prouve en effet que le nombre de ces temples était prodigieux, et que la plupart étaient de dimensions colossales et du travail le plus exquis. Il n’est pas une éminence ou une crête de rochers qui n’ait été appropriée à quelque culte et qui n’en conserve la marque.

En remontant le cours du fleuve, la partie de la ville la mieux conservée comme ensemble est celle qui a retenu le nom de Humpi. C’est